samedi 31 mars 2012

Des heures contre désert

Trois heures. Trois heures ce n'est rien, par rapport aux centaines d'heures. Aux centaines d'à moitié, de mal, de peu, de trop. Par rapport aux heures à chialer toute seule, dans la voiture, par rapports aux cauchemars qui ont envahis mes nuits la moitié de l'année, par rapport aux doutes, par rapport aux peurs, par rapports aux appréhensions dressées la nuit et le matin. 
Trois heures c'est tout petit, minuscule, mais c'est une victoire. Un éclat comme n'en connaissent que ceux qui ont essuyé des échecs cuisants et des douleurs assassines. Trois heures au bout de l'absurde, des questions, de la rage et de la colère, trois heures après toutes celles passer à éteindre certitudes et illusions. Trois heures après des centaines à "apprendre la vie" comme on dit. Trois heures après toutes celles à savoir ce que ça coûte, de "gagner sa vie". 
Oui, il y a eu d'autres moments de grâce, d'autres perles, mais elles se sont perdues dans le magma et la nuit, toutes seules. Là, elles sont trois, ces heures, elles font comme un collier à se mettre autour du cou, à toucher du doigt les jours où ça ne va pas. Elles s'encouragent les unes et les autres. Elles sont d'autant plus belles qu'elles attendaient dans des huitres à priori hermétiquement fermées.
Ces trois petites heures me soulagent, me permettent enfin une forme de repos. Une force pour affronter l'obscurité qui, je n'en doute pas, n'a pas complètement tourné les talons. Que peut bien valoir le reste à côté de cela : trois heures à ma juste place dans le monde.

samedi 24 mars 2012

Le Principe d'adhésion

Il est toujours étonnant de lire des critiques littéraires et cinématographiques qui soulignent 'l'invraisemblance" d'une œuvre. Je ne reviendrai pas sur toute cette question d'une construction vraisemblable de l'intrigue et des personnages, du réalisme social, psychologique, géographique, historique, de cette volonté de faire croire que tout ce qui est représenté pourrait exister. Que c'est logique, explicable, justement, semblable au vrai. 
Je n'y reviendrai pas parce que de toute façon, on peut essayer de coller au réel, c'est impossible. L'encre, la caméra nous séparent de la vie et ne restent jamais "que" représentation. Et nous, lecteur, spectateur, même plongés au plus palpitant de l'image, nous restons écartés de la vie à ce moment de contemplation. Nous vivons par medium interposé.Oui les émotions, l'attachement aux personnages est réel, parfois plus réel presque que nos liens avec des personnes qui ne sont pas des personnages. Mais il reste cet écart irréductible, une zone symbolique qui donne une direction, des sens à ce qui n'en a pas.
A partir de ce moment là, qu'importe que le tout soit invraisemblable. Rentrer dans une œuvre, c'est un peu comme pénétrer chez quelqu'un : il faut accepter quelques principes de base. Adhérer au moins un brin à ce qui nous est proposé, sans quoi il n'y a pas de contact possible. Les oiseaux parlent grec, très bien. Un petit geste de la main permet de lancer de la soie d'araignée, parfait. Une femme se réveille en ayant oublié quinze ans de sa vie, d'accord. On a le droit de refuser d'adhérer, mais il devient alors impossible de rencontrer l’œuvre, de parler avec elle si on en refuse les principes de base. Impossible d'admettre qu'un homme éteint des lampadaires avec un briquet ? Il faut s'arrêter là et ne pas se cogner les 7 tomes d'Harry Potter, cela ne pourra faire aucun sens, et demeurera stérile. Adhérer au postulat de départ ne garantit pas que le livre ou le film sera apprécié. Mais cela permet tout au moins de se confronter à ce qui constitue l’œuvre et qui n'est jamais simplement  un fait, un trait de caractère. 
On peut faire toutes les critiques possibles et imaginables à une œuvre. Mais dire qu'elle est invraisemblable, ce n'est pas critiquer, c'est oublier que les personnages ne sont pas des personnes et que l'intrigue, fut-elle tirée de faits réels, n'est pas un vécu. Pour des gens dont c'est le boulot, de travailler avec des media, ça me parait toujours assez grave. La représentation n'est possible que parce que nous l'admettons comme telle. Que parce que nous acceptons de faire comme si.

vendredi 16 mars 2012

Cyclo motivée

Tout d'abord j'aimerais m'excuser pour les vapeurs de nostalgie distillées de ci de là. Je ne veux pas être nostalgique, parce que je crois que si les souvenirs nous supportent, c'est l'engagement dans le présent qui nous fait respirer. Bref. Je m'excuse donc parce que ce blog sert aussi de support aux retours du passé dans le présent. Ce qui donne parfois dans l'émotionnant, voir le pathétique.
Mais voyez-vous, ces derniers mois, je cycle. Je me sens dans un des nœuds de la fleur, dans celui de la boucle qui balance à mes tempes. Pas du petit rond point de campagne, non, je parle du cycle d'envergure, quelque chose comme l'adolescence (qui engloberait la pré-adolescence, la post-adolescence et toutes ces petites composantes adorables et périphériques). Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'adolescente ou d'enfant en moi. Mais parfois, il faut bien se l'avouer, on mue, on passe à d'autres choses. On boucle la boucle, plus ou moins. En tout cas, on spirale.
Cela demande de revenir. De re-parcourir. De faire des bonds et des sauts dans tous les sens. De prendre une plume et de faire des liens entre tous les points qu'on a laissé sur notre passage et qu'on a jamais numérotés, qui sont disposés ça et là, sur la peau ou la langue, sur un mot ou un geste, sur une pensée. Tracer un chemin, entre ces points, faire des arbres, des fleurs, des dessins géométriques, des soleils, des rayons, des passerelles et des ponts, donner un sens, un peu comme les dessins qu'on reconstitue petits, pois par pois.
Nous en avons longuement parlé avec Celar, avec C. également, avec d'autres. De ces cycles à boucler, de ces questions qui reviennent, de ces images, de ces mélodies étrangement familières qu'il faut ré-apprivoiser. Voilà le pourquoi de ces "je me souviens", du besoin de prendre une émotion et d'en tirer le fil. J'espère que vous comprendrez ce projet et que vous l'entendrez résonner sur vos propres cordes sensibles.


lundi 12 mars 2012

Si c'était l'été

Un jour de rentrée sans élèves ça vaut le coup. Passer au collège, en repartir avant la sonnerie.
Même si le temps s'étire parfois.
Il y a le vert incroyable, sur la route du retour.
La sensation du monde derrière les lunettes de soleil écorchées.
Un goût de chèvre et de chutney à la mangue.
La plaquette de chocolat aux graines de lin n'est pas encore entamée.
Quelques copies promettent peut-être des amoureux de l'écriture, fins, tout en voix.
Encore une bêtise de Cambrai, en dictée. "Des l'armes de joie".
Fermer les yeux, faire comme si c'était l'été.
Chasser le naturel, comme s'il n'allait jamais revenir au galop. Comme s'il n'y avait pas de frustration. Comme si une idée d'écriture ne germait pas chaque semaine sur mes tempes et comme si ça ne me laissait pas de clou dans le ventre d'anesthésier ces projets. Peut-être même d'en avorter. Comme si, jusqu'à ce que a devienne vrai et qu'on se rappelle, sous les couches d'angoisse, pourquoi on est là, pourquoi on a choisi ça. Chasser le naturel, les craintes, les complexion / complexités / complexes. Fermer les yeux, faire comme si il y avait plus de 5h de sommeil avant de se lever, faire comme si c'était l'été.


"If I die let me die, if I die let me die, if I die let me die in the morning..."


samedi 10 mars 2012

En lieux et places

Qu'apporte-t-on de soi-même dans un théâtre ? Dans une salle de concert ? Dans un lieu de culture ? Et surtout qu'y laisse-t-on ? Quelles traces ces lieux et les gens qui les habitent laissent-ils en nous ? Les questions me traversent avec émotion. 

J'assistais hier soir à une représentation de "Qui mieux que nous ?", une pièce de Brigitte Mercier interprétée par Valérie Guillon Brun. Brangien, la servante d'Yseult la blonde, a quelques comptes à régler avec l'histoire et nous donne son propre témoignage de la romance mythique d'Yseult et de Tristan. Que peut bien nous apprendre une servante sur cette histoire mille et mille fois racontée. Tout peut-être, à commencer par le fait que "c'est pas facile d'être servante en 1200 et quelques". Marie de France, Béroul, Thomas d'Angleterre, aucun n'a donné la parole à celle qui mésusa du filtre. Brigitte Mercier s'est attelée à réparer l'injustice, avec finesse, densité, bravoure, irrévérence. Valérie Guillon Brun donne une voix et un corps à cette conteuse truculente, incarnant tour à tour les différents personnages avec une énergie extraordinaire. Elle donne chair à ce texte ciselé qui ne tourne jamais à la leçon d'histoire littéraire mais s'attache bien au contraire à relire le mythe avec finesse tout en prenant le parti de rire de ses héros, acte presque politique, si je puis me permettre. La performance de comédienne est absolument superbe. L'ensemble est à la fois passionnant et réjouissant. Je vous assure, Tristan en benêt zozotant, c'est jouissif. La démarche et sa réalisation me plaisent tellement. L'irrévérence, la désacralisation du classique permettent de maintenir l'envie, de le garder en vie, pas sous assistance respiratoire au fond d'une collection privée ou dans un discours homma-gisant. De l'interroger, de lui permettre encore de nous questionner. Sur ce qu'on sait, qu'on croit savoir, qu'on n'a pas compris, sur notre propre société, sur notre écriture et sur nos héros aussi. Bref. Je vous conseille vivement de vous rendre aux deux représentations à venir (ce soir et demain).
Mais où ça donc que ça se passe, me direz-vous. Aha ! C'est bien l'autre sujet de mon propos. Cette représentation était toute particulière puisqu'elle avait lieu au théâtre de la Citadelle de Bourg-en-Bresse. Lieu où j'ai passé des heures, des soirées, particulièrement il y a 4/5 ans, un peu moins ces deux dernières années. Lieu où j'ai découvert le théâtre de Mattei Visniec, celui de Victor Haïm, Romain Bouteille, où j'ai entendu chanter Marie Zambon, Rémo Gary. Lieu de rencontre avec L'Autre Désir, accompagné quelques jours un été cigalesque à Avignon. Lieu de retrouvailles avec des copains, moment suivi par d'interminables discussions, autour d'une tisane ou d'un digestif. Lieu de création, d'inventivité, de chaleur, de diversité (danse, théâtre, marionnettes, soliloques, chanson etc etc). Lieu né d'une compagnie, "L'Autre désir", rêve un peu fou à faire vivre entre création et programmation. Lieu dont les locataires seront expulsés dès la fin de la saison. 
Hier le trouble m'a envahi en me disant que pour la dernière fois je voyais Valérie jouer dans ces murs. Que pour la dernière fois peut-être je m'installais sur les petits gradins avec parents, amis. Vous savez ces émotions propre aux dernières fois qui vous poussent tout au bord des cils, parce qu'une page se ferme, qu'il faut accepter de repartir, de grandir encore. De changer. 
Les choses étaient différentes déjà puisque la compagnie de l'Autre Désir s'est séparée, modifiée, que certains ont pris d'autres routes depuis quelques temps. Mais un lieu on y apporte des choses, on y tisse des fils, et on en laisse sur place, pour ceux qui y vivent, pour ceux qui y viendront, pour soi-même la prochaine fois. On y prend tellement de choses qu'il faut bien qu'on en donne aussi, en échange. Je ne savais pas avant hier tout ce que j'avais laissé dans la petite salle noire. J'ai beaucoup reçu, et sans que personne ne s'en aperçoive peut-être, j'ai laissé aussi des bouts de moi. Irrécupérables. Irrémédiablement perdus sans doute dans la transformation du lieu. 
La Citadelle continuera de vivre en dehors de ce lieu, en de nouvelles places. Mais on ne peut nier qu'un changement a lieu, un changement de lieu, que quelque chose termine, sans bruit, au moment où on applaudit.


mardi 6 mars 2012

Doit-on dire à tout le monde ce qu'on ne peut dire à personne ?

Les passages piétons luisent et changent de couleur. Le rouge et le vert trainent par terre. Brillamment. Les pas résonnent de tout leur poids, glissent un peu parfois. Je retrouve les ponts de mes sourires. Les ponts de Lyon la nuit, c'est un idéal de vie. Petite, de passage, je regardais depuis la voiture, avec émerveillement la ville de nuit. Je me voyais plus grande, regardant le fleuve noir transporter les lampadaires. Certains attendaient les boites. Moi j'attendais les ponts de nuit. Je me voyais parfois solitaire, avec un appareil photo, un prisme à poésie. Parfois accompagnée, rieuse. Et d'autres mots en -euse (heureuse, amoureuse, silencieuse, mystérieuse...). Maintenant je suis plus grande, j'ai marché des kilomètres de nuit -parfois effrayée et parfois pas- à Lyon, à Saint Etienne, à Dublin et dans d'autres passages. Seule ou accompagnée. Pas tout à fait conforme à mes images d'Epinal. Un peu comme un reflet flou, complexe, brouillon de mes regards d'alors. Un peu moi et un peu une autre. Rhizome, vivace. J'ai un carnet contre la hanche et le son de leurs deux voix encore dans la tête. Je suis seule et accompagnée. Un gros casque me chuchote des mots d'Alain Bashung. J'hésite à m'arrêter, mais je poursuis, on m'attend. 

"Madame rêve d'archipels, de vagues perpetuelles..."