dimanche 6 novembre 2016

Tessons et cailloux #16 : Tonne, ô, tonne, petit ciel affamé

En octobre, l'encre se bouscule sur le calendrier. Du travail, puisque après le plein air, il faut bien rentrer. Et des rencontres, des choses à boire, à manger, des lieux à visiter ensemble. 
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Avec Lyia, on va voir Juliette danser. Enfin, Marion Lévy qui joue  Et Juliette. Et qui dit le texte fou de Mariette Navarro. Je regrette de ne pas réentendre ce monologue magnifique des Puissantes, celui qui m'avait remuée tout à fait 
(sérieusement, allez lire Mariette Navarro) 
J'avais oublié ce que c'était une salle de spectacle remplie d'enfants et de réactions très spontanées. C'est bien de s'en rappeler. C'est rassurant de trouver ça chouette quand je pense à tout ce qui bourgeonne, à tous les petits êtres qui vont débarquer dans les mois qui viennent.
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Ca roule beaucoup, certains week-end, pour la joie de dire des bêtises, d'arpenter cette basilique que j'aime tant, pour fêter le quart de siècle ou la trentaine, pour se voir, pour s'entendre. Se rencontrer, se raconter, se rire au nez, se réjouir. Respirer. 
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Toujours la vie d'ici, avec toutes les bonnes excuses qu'il y aurait pour partir. Et quand même, l'envie de rester, de construire autre chose que des fondations. Se faire un toit pour les jours de pluie qui ne manqueront pas d'arriver. La vie d'ici, l'apéro improvisé un lundi quand le boulot me défait, le dîner déguisé, et le café du mercredi. La vie d'ici, le swing et les maladresses dont on apprend à ne pas rougir, le yoga, les poèmes semés pour l'asso. La vie dissipée parfois. La vie dissidente, trop rarement. La vie directement. La vie distinctement. La vie disséminée dans les rues, les recoins, les cinés.
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Il y a une lettre de Do. dans la boite. Et ça réjouit drôlement, une lettre dans la boite, les mots de Do, dans le bureau avec un thé. 
Mélie arrive un jeudi, en bord d'espace ouvert. On croise une collègue en remontant de la gare. On en croisera plusieurs, en quelques jours, et ça m'amuse, ces marques de la vie d'ici, décidément d'ici. 
On a affirmé qu'on allait écrire. Finalement, on a quand même beaucoup parlé, cuisiné, bu du thé comme du vin, un peu marché, vu un film au ciné et pour Mélie, bossé. Mais il n'empêche que je redécouvre que je peux avancer sur des projets. L'envie de s'installer au bureau en n'ouvrant que la page concernée. Mais il n'empêche que, ces heures là, à écrire en sachant qu'elle est sur le canapé, ça compte drôlement, ça donne du courage, ou de l'élan. 
Et plus généralement, on profite de ces plages là, d'avoir le temps de s'étendre comme on ne l'a pas eu depuis longtemps. On revient sur des histoires, des questions. On revient sur ce qu'était la vie à l'automne dernier. Et même si c'est loin, il n'y a rien de vain à reparler de l'eau qui a coulé sous les ponts, des p'tits clous qu'on a arraché d'un seul coup. De ce qu'on a grandi, de ce qui a poussé, des petites colères cachées qui restent à désherber. Non, rien de vain à s'apercevoir que parfois, c'est vrai, c'est un mal pour bien, et qu'avec le recul, on ne regrette rien. Non, rien de rien.
Le garçon d'à côté nous rejoint, tard dans la nuit. On fait des jeux de mots douteux en buvant de la tisane. Et, légers, on part chercher des trésors dans la ville avant de se laisser, au bord d'une parte de tarte au citron et d'une tasse de thé.
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Après une reprise duraille, B. entre en classe avec un air effaré "M'dame, j'l'ai lu le livre !"(qui est pour dans deux semaines - ndlr). A son air, on a l'impression qu'il a été choqué. Oui, bon, ce livre là, il brûle le ventre, c'est sûr. Je m'apprête à défendre mon choix quand il revient à la charge. "Madame j'l'ai lu. Il est trop bien. Trooooop bien. Il est... aaaah, j'avais jamais lu un livre... comme ça, franchement trop bien." Respirer et se dire que tout ça ne sert pas à rien.
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Novembre s'amène et entre par la fenêtre, pas invité. Y'a des points d'interrogation qui s'invitent partout. Relous. On en parle longuement au téléphone avec A.
Puis faut y aller. On m'attend dans une ville aimée et, même si ça coûte de se dépêcher pour attraper le bus, à peine le pied posé dehors, la hâte enfle. En fin de journée, détrempées, parlerparlerparler, les amis les amours les emmerdes, les cafards, les victoires, les joies, les familles, le temps qui nous laisse pas le temps, le temps qui nous tire de nos carcans. "Si j'étais un dieu, que je devais refaire le monde, je changerais tout sauf". Tout sauf.
Au matin, je prépare du pain perdu. "Du pain qui s'était perdu", comme dirait Clo. Je suis contente qu'on ne se soit pas perdues, Bouh et moi, Clo et moi, toutes les trois. Contente qu'on puisse partager les grandes questions et les sourires niais.
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Dans le bus, les quais sont lumineux sous le ciel menaçant. Ibrahim Maalouf, Nina Simone. Wakey!Wakey!. Dialogue improbable.
"True sorry" - "I guess I'll never be the same..." - "So tell me why we're talking  when we dance so good ? And I know you can't stay, but I wish you would."
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Il va falloir traverser novembre. Je n'ai toujours pas confiance en novembre. Trop de gens se sont perdus dans le froid ou dissous dans la brume.
Je n'ai toujours pas confiance en novembre. Mais je sais qu'on passera à travers, qu'on passera outre, et que ça ira.