lundi 14 juillet 2014

Soupir dernier, début juillet

Mes années se finissent deux fois.

Comme tout le monde, officiellement, le 31 décembre, si possible sans cotillon et sans boule de gui. Si possible, avec des écharpes dans le vent, une côte bretonne, une plage du sud, un pesto maison, ou un UNO agrémenté de vodka. 

Et puis, comme les enfants, début juillet. C'est le moment de boucler, de dire au revoir à ceux que l'on a côtoyé presque tous les jours pendant un an. De clore cette intense collaboration, soulagé, ému, attristé, repu ou frustré. 

C'est difficile, cette fin d'année. Elle est mitée de jours fériés, de jours fermés. Émaillée de corrections et d'examens, de surveillance et déjà, de cette vacance. De cette chose qui flotte, entre deux eaux, d'une langueur, des esprits ailleurs, des tensions qui naissent, du pédalage pédago. D'un cours à l'autre ne pas savoir qui sera là, ce qu'on pourra travailler. Ne pas savoir qui on ne va jamais revoir. Dans quel état errer, comment gérer. J'aime les fins nettes, tranchées, les au-revoir et les adieux clairs. La plupart reviendront dans ce même lieu l'année prochaine. Moi pas. Je les ai suivi pendant un an, j'ai ri, crisé, crié, soupiré, discuté, négocié, avancé, écouté, attendu, souri, blagué, face à eux. Ou plutôt avec eux. Et voilà que sans comprendre, n'importe comment, finalement, c'est terminé.

Je ne saurai pas ce qu'ils deviendront. Ce qu'il adviendra de ceux là, de celui qui a une plume prometteuse, de celui qui galère avec l'emploi du subjonctif, de celle qui passe les heures à attendre, sans comprendre, de celle qui s'est découvert une passion pour Victor Hugo. Ce qu'il restera de ces quatre heures de français avec Mme Blizar. Si ce sera un ennui, une colère, une injustice, une incompréhension. J'espère que ce sera un mot, une histoire, un texte, une question, un frémissement. J'espère, mais j'en doute, parfois, tant je me sens négative. Tellement j'ai l'impression de partager, avec ma passion des livres et du langage, mon angoisse et mon désarroi.

C'est difficile, de ne pas se dire au revoir, de le dire mal. De ne pas avoir le droit d'être un peu émotive et de leur souhaiter bonne route, de leur dire de prendre soin d'eux. Difficile de savoir que je suis une passante éternelle et que je ne les verrai pas grandir, même un peu. Difficile de ne pas pouvoir discuter autrement, un moment, avec les élèves avec qui j'ai été en opposition frontale. Difficile de ne pas remercier les enthousiastes pour avoir certains jours donné un sens à ma journée. Difficile de ne pas avoir le temps de dire aux timides qu'ils ont leur place et leur importance, malgré tout ce silence. Difficile de ne pas dire aux plumes en herbes de continuer à écrire et de m'envoyer leurs manuscrits. Difficile de ne pas rappeler à certains que "mauvais élève" n'est pas synonyme de "mauvaise personne", que ça ne maudit pas leur avenir, que ça ne change rien à l'estime qu'on peut leur porter. Leur rappeler aussi de faire tout ce qu'ils peuvent pour se donner la chance de choisir.

L'année est donc finie, n'importe comment, absurde, entre petits problèmes de santé, leurs absences et les miennes. L'année s'est finie, j'ai rendu les clés. Avec l'équipe des jeunes collègues qui s'en vont. Elle était chouette, cette équipe de jeunes, et si une nouvelle année nous avait été donnée, je crois que ça aurait envoyé du lourd, roxé du pâté. L'année est finie, avec la joie de l'espace temps offert, soudain ouvert, comme ça, un vendredi soir, inespéré et inouï. Avec la fatigue aussi de savoir qu'il faudra tout recommencer, encore, ailleurs, on ne sait pas où, avec qui. En 6è ou en terminale. A côté ou à 50 bornes. On essaye de ne pas y penser trop fort. On discute avec le chef-adj des affectations à l'étranger. On part sous la pluie, l'air de rien.

C'est juillet, et l'année a expiré, en silence, dans une cour trempée.