lundi 13 avril 2015

A vriller les rayons du soleil

A un moment vient le dégel. 


Il y a eu la fin de l'hiver. Avec sa grisaille, sa froideur, ses cernes aux jours et aux yeux, assombris pareils, les journées tunnels et les vacances passées intégralement à travailler ou à errer comme une âme en panne, dans l'appartement éclairé par l'écran. L'énergie caille à la frontière des membres et l'envie cale dès que personne ne regarde. Le printemps arrive sans un bruit, je ne le vois pas, j'ai pas le temps. 

En même temps, il y a eu beaucoup de perce-neige. Des lumières horizontales qui font les cheveux roux et un peu battre les paupières.

Il y a Clo, les visites d'une ville à l'autre, les verres de vin blanc, ses cigarettes sous le soleil et la nuit, notre discussion qui ne discontinue pas. Clo, nos peines, nos joies, des pâtes au saumon, ses filles, des livres qui traînent et s'échangent, des nouvelles qui se lisent à haute-voix et la certitude qu'on réussira à les finir un jour, ces recueils.


Dans le ville de Clo, il y a Celar et Lo., les très chers. On se croise, soulagés de se trouver dans une manifestation où on traîne les pieds, et où on se tient chaud après avoir longtemps hésité. Ensemble, tout va mieux. On se croise, à l'improviste, dans un salon de thé, des copies étalées sur la table en faïence tournesol, et un sourire plus large sur des lèvres rouge brique. C'est le printemps avant l'heure de s'accorder un mercredi après-midi de répit. On se croise, hébétées, dans notre ancien lycée. Dix ans après le premier, dix ans après les départs, Celar revient chanter. Du flamenco. Arriver à l'entracte, encore ivre de kilomètres. Ne pas savoir comment être dans ce lieu tellement familier et lointain. Une éternité ou deux. Ca parait petit. Ca parait révolu. Comment est-ce que ça peut être autant pareil ? Comment ça peut n'avoir pas plus changé ? Penser brièvement à tous ceux qui ont été là, habillés de rouge et noir, pas vus depuis des années. Tant de tendresse et tant d'écart. Retrouver Celar et cette sensation, dans l'abrazo, qu'ensemble tout va mieux. Pouvoir être présente, pleinement, sans être perdue. Et puis, la mère de Celar, et puis Lo., c'est juste, enfin, juste d'être de retour là.


Quand Celar chante le flamenco, ça donne terriblement envie de vivre.
J'aimerais bien  le dire mieux, avec une formule maline, originale. Mais il faut juste l'entendre, et voir tout son corps qui se tend, regarder le chant monter depuis son ventre, l'habiter toute entière, animer ses bras, ses doigts, et sa gorge qui vibre.
Oui, quand Celar chante le flamenco, ça donne terriblement envie de vivre, encore.




Un autre jour, nous sommes cinq dans la voiture, après avoir lutté contre des pages indéchiffrables pendant deux semaines. J'ai les yeux qui tirent, mais je conduis, de nuit. Toujours cette sensation d'amener les gens à bon port, de veiller sur eux dans l'obscurité quand la route s'enfonce dans les heures plus tardives. On s'offre une parenthèse, entre les vignobles, à déguster du vin, des plats, des moments de légèreté. Il y a des moments où j'ai du mal à être là, à être agréable, pour mille raisons, pour aucune. Mais le soleil nous fait des ombres plus petites - le long du canal, des chouquettes à la main, et de grandes eaux pour tout laver.


Une fois, encore, il y a dans la boite, les mots de M.e N.o  et... et... 
J'en suis coite, d'émotion. Un retour sur le premier recueil qui encourage, et qui conseille, de manière si juste, si constructive. J'admire sa capacité à n'être, dans ses retours, ni trop directive ni trop évasive. Cet oeil aiguisé et bienveillant. Ca fait comme le vent dans le dos, ça donne envie de danser et ça allège les heures à suer pour biffer deux mots. 


Et puis, les picotements de la vie, quand je retrouve J. pas vue depuis un an, et qu'on prend le temps de vivre tranquilles, quand je passe dans le nouvel appart de C&A et qu'on goûte en plein dimanche, comme si on habitait à côté, quand on profite des premiers rayons, en plein vent, pour un café avec Em., quand il y a de l'espace avec la grand-mère pour dire des bêtises et jouer au Scrabble, quand on retrouve toute la famille, en même temps, pour une fois, et que ça ne pèse pas. quand Mélie fait un stop dans la rue d'Or, et que c'est simple, et que c'est doux, de parler comme ça, dans le soir, ou devant un petit-déjeuner. Quand il y a les routes seules, au soleil, à travers les champs et les vignes, avec des envolées d'estomac et les sourires les plus sincères. 



Au fond de tout ça, toujours des loups, des corbeaux, des hérissons. Se demander parfois si je serai un jour domestique. "Certainement pas", répond une grosse voix. Certainement pas. Mais apprivoisée ? Je crois que ça viendra, parfois, ponctuellement. J'apprends à m'approcher un peu plus, sans peur et sans autre bouclier que le rire maladroit et croassant qui m'échappe souvent. 


Au fond de tout ça, des gens et des choses qui vous prennent par la main dans leur élan  , et l'envie de continuer à tordre des fils sur les doigts, à faire de la couture - parce que ce n'est que ça, la vie, les gens, les mots, "c'est que de la couture" -  Célar, Mélie, C&A, Clo. Mais aussi les livres de Philippe Malone, Mariette Navarro, Gherasim Luca, Claude Vercey, Wajdi Mouawad, ces derniers temps.  La musique qui donne envie de faire éclater la voix. Ces jours, en particulier, les chansons de Klô Pelgag qui m'étonne et m'entraîne aussi intensément que Buridane à une certaine époque. J'espère trouver la même vitalité, la même ampleur.



Sinon, et ce n'est sans doute pas sans rapport, je crois que je n'ai jamais autant aimé mon travail. Mais je vous raconterai ça plus tard. 




Maintenant, c'est le printemps, pour moi aussi. Je chante à tue-tête, j'écris, à nouveau, encore, après les macérations, l'hibernation. A nouveau, encore, de la peau à la place de la pelisse et des sourires de corbeau. 

A nouveau, encore, Encore, beau !