mercredi 23 août 2017

Lumières chroniques 2 : Lancer de poids

Les saisons commencent parfois n'importe quand, et quoiqu'en disent les calendriers, l'été a subitement déboulé le 5 juillet.
La sensation du solstice. 
Des poids jetés les uns après les autres, loin, loin, derrière la barre des 23 mètres 12. 

Si je m'étais inscrite, cette année, j'aurais battu tous les records de la discipline. 

Il y en a eu des poids cette année. Des trucs à se traîner. Des trucs contextuels pesant de toute leur masse sur les épaules rondes. Des trucs anciens, qu'on a tellement l'habitude de porter qu'on les a oubliés. Alors, au milieu de la tourmente, de l'appartement colonisé, de la classe é-nervée, j'ai travaillé les muscles du dos, des bras, j'ai entraîné le souffle, pour le jour où je pourrais tout envoyer paître et me retourner, sans ruminer. J'ai préparé les mots pour la petite fille accrochée à mes épaules et à mon ventre. J'ai préparé ses valises, et nos mouchoirs pour les adieux. J'ai préparé la voix pour les chants de départ. 

Il y a eu des poids cette année, et le mien dont je peine toujours à m'occuper, mais je sens que c'est pour bientôt, pour de vrai. Mais je sais que ça a déjà commencé, en sous-marin. 

Alors le 5 juillet, quand je suis sortie de la "commission d'harmonisation", comme on dit, j'ai regardé le soleil hébétée. J'ai embrassé Cara qui partait vers le sud, et je suis allée traîner à la librairie, une des plus chouettes librairies (celle où j'ai acheté, il y a des millénaires, le carnet pour les Squelettes). J'ai fouillé dans la poésie, la socio, l'histoire, la philosophie. J'ai pensé aux neurones que je voudrais recommencer à connecter, aux milliers de lignes à lire, et peut-être, si ce n'est pas trop prétentieux, à écrire. Non, même si c'est prétentieux, complètement prétentieux, j'ai pensé aux milliers de lignes que j'écrirai. Sans -s. Sans condition. Sans hypothèque. Bien sûr qu'il faut pré-tendre, pour faire, pour ne pas tout lâcher.

Petit à petit, j'ai posé les pierres qui me courbaient la nuque.

Il y avait déjà eu cette fin tranchante avec la classe qui me cramait l'échine. C'était allé jusqu'à la cassure. Jusqu'au souffle balancé, jusqu'à ce que tout sentiment d'être concernée passe par dessus l'épaule. Vous ne voulez pas de moi ? Très bien, je m'en vais. J'ai laissé toute l'eau qui me restait s'enrouler dans le lavabo, et je suis partie dire au revoir à ceux que je quittais à regret, en jetant ces heures pénibles aux toilettes, et en m'en lavant les mains.

Il y avait alors la fin de ces lignes interminables d'encre à évaluer, ces nuits, assise,  à essayer de démêler des propos, des pensées. A essayer de comprendre, à chercher, à bordereauter, à justifier, à relever les notes, à m'enfoncer. Et puis, j'ai rendu les paquets de kraft, comme on pousse tout ce qui encombre le passage, jusqu'à ce que ça s'envole.

Il y avait la perspective du départ. Des parts de route à prendre, de péages à passer, de frontières à outrepasser. La perspective de ne plus entendre la voix d'ogre qui me faisait trembler, de ne plus sentir mes viscères s'emmêler à la seule pensée de revenir dans ce lieu annexé. S'ouvrir l'espace, arrêter de vivre collée à l'écran, enfermée à triple tours, le casque vissé aux oreilles, le souffle court. J'ai fait mon sac, pour aller voir les aimés, ici, là, ailleurs. J'ai plié les vêtement, et tricoté des oiseaux de nerfs, que j'ai envoyés voler par la fenêtre ouverte de la voiture. 

Un soir je suis rentrée, avec la ferme intention de repartir aussi sec, dès que le linge le serait. Mais soudain, l'espace est plus clair. Les affaires ont disparu, le nom aussi. Pas de voix d'ogre, pas de murs tremblants. Alors, c'est fini, enfin ? J'attends le lendemain pour être sûre, bien sûre que ce calme, sur lequel j'aimerais m'étendre tiendra. Et quand les mots tombent, j'en pleurerais de joie, si je n'étais pas si hébétée. Les paupières battent, comme quand on ouvre les volets le matin. Alors, c'est fini enfin ?                        Oui, oui, oui, c'est fini. On peut se changer la vie. 
Ce poids là, il s'est lancé tout seul hors de ma poitrine compressée depuis des mois, loiiiiiiin. Et les séquelles de la peur s'évaporent comme un mauvais marais, lourd et boueux, asséché par le soleil au Zénith. Les crispations réflexes se défont, se rassurent. La suite s'ouvre toute seule.

Et puis il y a cette Nuit Claire, que j'apprends à quitter, un pas après l'autre. Tu auras toujours toute ma tendresse, la Nuit. Je me réfugierai encore entre tes ombres et tes lumières pour écrire, pour apprivoiser mes gravités. Je déposerai les tristesses qui ornent mes cils, en offrande, au pied des racines de ces forêts de conte. Au pied des amples arbres comme le hêtre de Giono. Mais j'ai trop de jours à voir, trop de soleil à vivre, trop de légèreté qui trépigne en dedans pour te porter encore, la Nuit. Je laisse la Nuit Claire à sa place, je repose un caillou d'où il vient, et d'un murmure, je l'embrasse avant de m'en aller. 


Légèrement. 



lundi 14 août 2017

Lumières chroniques 1 : Guirlandes et fanions

L'été est venu, enfin.


Est venu avec sa carcasse ensoleillée, m'enlever au foyer. Et même si j'étais épuisée de cette année gluante et poisseuse, j'ai eu cette sensation d'être attrapée par la main et de sortir voir le jour, les cheveux dans le vent, avec ce soulagement des adieux et des fuites nécessaires. Je me suis laissée occuper par les présences, éclairer par les lumières de la fête.


Partout où je passe, je vois des choses suspendues qui battent dans les airs. Des guirlandes lumineuses, des fanions fêtant la légèreté, des lampions au faîte de leur brève existence.


A chaque fois, quelque chose embrasse ces flammes colorées. Les langues de tissu chantonnent en chœur. Leur frémissement me vient, hérissant la joie furieuse qui éclate sous le plexus. 

Solaire. 

Sol. 
Quelque part sous les pieds martelant un chemin.

Air. 
Partout autour, qui étreint et anime. 


On se colle à la peau des guirlandes éphémère, un dimanche aprem. Et la journée en est plus riante, plus brillante. 

Et pourtant, ces fêtes qui flottent, partout où je passe, ne sont pas les miennes. Mais elles sont éparpillées autour, dans leurs costumes des grands jours, leur musique fanfaronne et leur odeur de sucre -  on peut en attraper des miettes et s'en lécher les doigts. 


Tout reste sous la peau, indiscernable. Imperméable au regard. Au dehors, à peine le frisson d'une lèvre étirée et le relâchement des muscles pour avouer aux passants que la vie a air de fête. Et les cheveux longs oh si, tellement, qui s'enguirlandent avec le vent. 

Légèrement.