mercredi 27 mars 2013

Je ne sais pas si ce calme

Il y a longtemps que je n'ai pas écrit ici. Retour cyclique des interrogations sans fin sur ce qu'est cet espace, sur ce que j'en attends, sur la peur de l'écho des paroles dans une salle vide, qui se déforment qui perdent tout sens. Et puis, c'est là que je vous avais quitté, la peur de pierre qui alourdit tout. Mais me voilà quand même dans un sursaut.

C'était l'après-midi, je rentrais du travail, après le soutien. Il faisait beau. J'avais changé le cd pour ne pas fatiguer Vian. Barbara Carlotti chantait donc sous la lumière d'après-midi. Rien que de très banal. Les rond-points et puis la ligne droite. Je m'arrête derrière la voiture qui souhaite  tourner. Je ne sais plus. Plus à quoi je pensais, plus si je chantais, en attendant derrière cette voiture. Je vous l'ai dit, c'était banal. Et puis, je l'ai vu s'approcher, dans le rétro, trop pour être honnête, trop gros, trop vite. La seconde qui a suivi a duré, duré comme si je volais. Je ne sais plus vraiment, non plus ce que j'ai pensé. Je crois que je n'ai rien pensé, que j'étais hébétée. Les cd de la boite à gant se sont mis à voler. Partout. Dans les pieds, sur le tableau de bord, sur mes genoux. La vitre arrière s'est mise à voler aussi. Partout. Dans les manteaux, dans le coffre éventré, dans mes cheveux. Mon corps est parti en arrière, soudain. Je n'avais jamais rien connu d'aussi "soudain". Les jambes arrêtées par le siège et le dos qui se tord alors que le siège se barre. Elles seront bleues. Et puis le corps repart en avant légèrement. Quand le choc a été terminé, j'ai continué d'avancer un peu, jusqu'à ce que je songe à m'arrêter, jusqu'à ce que mes yeux commencent à voir, à avoir peur du lecteur cd qui sortait de son socle et continuait de jouer. J'ai fini par éteindre le contact, dans un moment de lucidité. J'ai constaté qu'à première sensation, je ne devais rien avoir de grave.

Avant toute chose, j'ai sorti l'album du lecteur.
C'est la première chose que j'ai faite, j'ai sorti l'album du lecteur, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que mes autres albums étaient rependus partout autour.

Et puis, je me suis sortie moi même du lecteur. Autant dire que le système nerveux avait déjà pris le dessus. Des spasmes de larmes invisibles, d'angoisse pure. Après l’hébètement  les questions pratiques qui deviennent comme philosophiques. La stupeur, le regard fou. Tout est plié, je sanglote. Les hommes des deux autres véhicules me regardent. "J'ai eu peur". Ce sont les seuls mots qui viennent. Je ne suis plus un être raisonnable, sociable, élevé. Je suis un corps qui tremble.

Et puis. reprendre contenance. Appeler la famille, appeler l'assurance. Et puis commencer la paperasse avec la crainte de mal faire. Reprendre une énergie aux gens qui s'arrêtent pour me demander si j'ai besoin d'aide. et avec mon visage de folle je leur dit que merci, ça va. Et puis, repartir avec la dépanneuse (souvenir de l'histoire de la clé, d'un autre choc, d'un autre travail). Et puis, les papiers, et puis le vidage et puis le taxi sympa, et puis le téléphone et puis la pharmacie et puis le téléphone.

Et puis le silence.

Le choc est passé, j'ai eu de la chance. J'ai la chance d'avoir une famille pour m'aider à porter ces mois d'hiver et ce choc final. De la chance car  elle était chez eLle ce soir là, eLle a pendulé pour m'éviter les nuits de peur, l'angoisse de la voiture, le corps terrorisé au moindre choc. ELle a dit ce qu'il fallait prendre. Le choc est passé.

Mais le vrai choc, derrière celui là, est toujours ronflant. Il n'y a personne dans cette ville où je vis depuis six mois, personne à appeler, personne pour rire ou pour chialer, personne pour boire. Personne à qui manquer. Que les voisins qui remarquent l'absence de voiture ou que les chefs qui gèrent les absences. Que les collègues pour qui je suis de passage, que les élèves qui préféreraient que ce soit plus grave pour être dispensés de cours un plus longtemps. Personne à qui tenir. Et ça fait peu pour avoir envie de se lever le matin. L'indépendance a ses limites. Cette indépendance là ressemble bien trop à de l'isolement. A de l'insignifiance. Alors oui, je m'emmène seule aux urgence, je marche sous la pluie pour rejoindre le bus qui m'emmènera vers la gare avec deux heures d'avance, oui, je me débrouille, comme on dit. Comme une grande, comme on dit. Même si à l'intérieur, comme une très petite fille, j'ai la trouille qu'on m'oublie au bord de la route, à côté de la vie.

C'est quand même marrant, parce que c'était la première semaine hors anesthésie que je passais depuis longtemps. J'avais retrouvée l'énergie, l'envie de faire des choses. D'être à jour, de faire mieux cette fois. Et puis vlan. Je chasse d'une main, comme les mouches d'été, les pensées qui tremblotent contre l'oreille. Si personne ne lit ici, c'est peut-être... Si personne ne s'inquiète c'est peut-être... Si personne n'écoute c'est peut-être...

On m'a arrêtée, le temps de reprendre pied. J'ai fait les choses simples. Ranger, cuisiner. Les choses moins simples : débuts de lettres, formalités administratives. Et puis le travail, un peu. Le reste du temps, j'ai fui, je me suis cachée, jusqu'à sentir le calme qui s'étend.

Mais il reste un dernier bruissement qu'il faudrait chasser de la main : je ne sais pas si ce calme, c'est la sérénité qui revient ou si c'est l'envie qui s'en va.