vendredi 4 mars 2016

InCarnac #1 : Un matin je suis partie

Un matin je suis partie.  *

J'aimerais vous dire que j'ai soudainement pris la mauvaise sortie au rond point, que j'ai rejoint l'autoroute, et que je me suis lancée loin. Mais ce serait un peu trop romantique à mon goût. Romancé aussi. Et s'il m'arrive de prendre les mauvaises sorties, sur un coup de tête, ce n'est jamais pour plus longtemps que pour la journée. 

Alors voilà, un matin, je suis partie. C'était prévu depuis quelques jours à peine, mais prévu tout de même. Dans le coffre, il y avait des vêtements, l'ordinateur, et une caisse de livres. Des carnets, bien sûr.
C'était prévu depuis quelques jours à peine. Ca me tournait dans les poumons depuis des années. 

La Bretagne, l'hiver. 
Et Carnac. 


[Pour ceux qui sont arrivés par ici récemment, qui ne me suivent pas sur Twitter ou qui n'ont pas connu le temps du blog dublinois, Niglo Drom, Carnac me travaille depuis... un bail. C'est à cause d'un poète qui s'appelle Guillevic, qui y est né, qui a écrit le Morbihan, les menhirs, la mer - "Et quand je dis la mer, c'est toujours à Carnac". C'est un poète qui s'est mis à me parler, un vendredi, dans un train express régional, et qui m'a habitée quelques années, le temps d'un mémoire sur le silence entre autres] 

J'en ai rêvé. Puis j'ai oublié. J'ai laissé Guillevic sur la bibliothèque, le temps d'aller voir ailleurs où j'étais, moi, le temps de trouver mes mots et ma voix. Quand l'espace s'est ouvert sur les vacances, j'ai entendu ce petit souffle rauque dans les poumons. Je l'ai laissé monter, comme la marée, et puis je me suis décidée. Ne plus laisser les lames de fond gronder dans les entrailles, mais les laisser rugir sur la rocaille des dents.


Voyager seule.
Ce n'était pas la première fois mais il avait fallu digérer. Quelques jours à peine, à flotter entre Bruges et Antwerpen. Prendre le temps avant de recommencer. C'était devenu évident, que je pouvais, au moins pour quelques jours, et sur ce continent. Se prouver quelque chose, peut-être. En apprendre de nouvelles, aussi.


Un matin, je suis partie.

Avec toutes les rafales de cette liberté là. L'amertume de savoir qu'elle est un privilège. Rougir, presque, d'avoir droit à tant d'espace quand d'autres ne connaissent que la Paroi.

Mais aussi l'eau qui ruisselle le long des yeux vitrés, en arrivant sur l'autoroute. Les côtes qu'on ouvre en grand, des deux mains. Etre là, justement et complètement.

Breeze-block,
Always alright,
Un matin,
Comme un parpaing


Partir




(* Ceci est le titre d'un roman d'Alice Steinbach envoyé par Clo quand je vivais à Dublin. Par ailleurs, en faisant une petite recherche "Guillevic" sur le blog vous trouverez quelques traces...)