dimanche 1 juin 2014

Mai : couper court, plonger dans les carrés

Et le printemps s'étire pour toucher à sa fin.


Mais, Trois fois Lyon, à marcher, à parler. Trois fois Lyon, à moitié.
Aux prémices de mai, on a manifesté en retard, sans muguet, mais au ras des pâquerettes. On a marché avec S. C'était familier. Pourtant il y avait le malaise. L'impression de le faire, pour dire de l'avoir fait, pour un geste, ou une voix, même nasillarde ou éculée. Pour un semblant, désabusé, d'espoir, à chercher dans les coins. En rentrant, se promener. Et retrouver la Filleule pour un thé à la menthe bien sucré. Avant le louper le train, et d'attendre trois heures à une table de Café dans la nuit de la gare. C'était un premier "mais".
Au milieu du mois, au débotté, faire enfin l'expédition avec les copines-collègues de l'année d'avant. Flâner, monter à Fourvière, dire des bêtises au milieu des rosiers. Ne pas toujours savoir quoi se dire, mais s'apprécier quand même. Se promettre de recommencer. Sans bien savoir si ça se fera, mais trouver l'idée bien, pourquoi pas.
Un dimanche soir dans un week-end fourbi, aller voir S. dérouler le fil, jouer l'Ariane. Aller voir au delà des sarcasmes et de la fumée, la tragédie qui se toile. Etre emportée avec la folie des femmes qui détournent des métros ou deviennent des tueuses en série. Sentir rouvrir en soi le projet plein de loups et de louves qui dort depuis longtemps dans le carnet bleu que Verte m'a envoyé du Japon.
Mais trois fois Lyon, à avancer.


Mais, dans le retour au travail, il y avait des difficultés à contenir et à lancer, et faire travailler. S'énerver trop souvent, en perdre un peu sa voix, sa crédibilité. S'énerver trop souvent, mais savoir respirer, et se dire qu'on finira bien par y arriver. Qu'on fera autrement, mieux, la prochaine fois. Apprendre à couper court, à ne pas discuter. Ne pas céder, par fatigue ou par enthousiasme, par flemme ou par angoisse. Tenir la position.


Mais, le garçons aux capuches multicolores est arrivé, à la presqu'improviste. Il m'avait appelé, quelques jours avant, pour proposer de passer. Assez tôt pour se réjouir à l'avance. Assez tard pour avoir dans le corps la sensation sautillante des fêtes imprévues. Il y avait dans sa venue de la douleur et de la distance. Il y a eu dans ces jours tellement de mots. Des mots à la fumée de cigarette dans la petite cour et des mots au curry, des mots à la gaufre, des mots au café, des mots dans des magasins et sur des pavés, des mots au bord de l'eau, et des mots dans un recoin du bar à vin. Il y a avait toujours cette douleur, cette envie d'être ailleurs, mais au milieu des bleus, des pollens de douceurs, du moins je l'espère. Pour faire des pieds de nez au sort, on a fait des bulles, bu du Bourgogne à la paille dans des gobelets d'anniversaire, fait des jeux de mots débiles, et visité la ville avec une manifestation. On a regardé le drapeau CGT en face de la plaque Rue de la Banque. C'est un garçon à belles discussions. Un sacré mystère, les souterrains de la vie qui mènent d'un trottoir du hasard vers le Turk's Head à ces discussions là. On s'est rencontrés dans la rue, et il a fallu du temps pour mettre les armures au placard, se découvrir un peu, se parler pour de vrai. Il a fallu du temps, quelques villes d'Europe, de l'humour très noir, un peu de pluie, et des chemins de nuit. A., il a la douceur mi-petit beurre mi-speculoos. Quelque chose de fondant et de pétillant, de sa petite tête endormie à ses grands éclats de rire. Il sait écouter comme personne. Ce ne sont que des bribes de la beauté d'A. Ca fait cliché mais c'est si vrai, c'est un ami, un grand A. Mais la gare arrive au matin. En repartir sans avoir pris le train, c'est toujours étrange. Je passe dans les petites rues du soleil plein la vue. La lumière, et le vent, au matin dns la ville, ça lasse les yeux humides. C'était bien.


Mais fin de semaine affolée dans la copropriété. Connaître les voisins autrement qu'en se croisant dans le couloir ou qu'en descendant les poubelles. Parler de Grèce antique, boire de la chartreuse. Finir par mettre une chaise et une lanterne dans la cour. Appartenir aux lieux, un peu plus. S'approcher des gens un peu mieux. 
Mais le lendemain, il y a des portes grandes ouvertes et des yeux mi-clos. Le samedi, au boulot, des soupirs plein le corps. A défaut de motivation, parler longuement avec les collègues de Lettres, dire des bêtises et des pas-bêtises. Parler de livres, faire comme si je n'étais pas du tout ivre. Penser subitement qu'il sera dur de devoir tout recommencer ailleurs à l'automne. Penser qu'il y a des gens, peut-être que j'aimerais bien revoir, même dans les vies d'après. Et si je dois filer au lieu d'aller prendre le soleil dans le jardin de Ma-A, il semble que ce n'est que partie remise, encore une fois

Mais, aller dans le midi, vers ceux qui attendent. Dans cette maison d'aïeule, il y a un puit en pierre, et une grande cour. Les outils sont tordus, ont été façonnés avant la standardisation. N'ont jamais connu le plastique et les caisses de Mr Bricolage. Le métal pousse joyeusement sa rouille. Le bois se déforme sous le vent. Les peintures s'écaillent. Il y a de larges pièces vides. Une écurie, une porcherie. Un four écroulé où quelques poules ont habité. Il y a un escalier bancal, dehors, vers le grenier. Le portail bleu porte toujours une plaque de fer où s'étale en lettres calligraphiées le nom de jeune fille de ma grand-mère. Est-ce pour ne pas oublier qu'ici, des générations de chardons ont vécu et que nous avons déserté ?  C'est pas souvent qu'on est tous là. Presque, sauf le frère et la très belle soeur qui s'écossent encore. Il y a ce bruit des enfants surexcités d'être réunis, les trottinettes qui claquent, les jeux qui prennent le soleil. Il y a la petite Nomn, avec ses airs d'adulte qui dit "au revoir messieurs dames" en entrant par la porte en bois. Ela. grandit outrageusement, longiligne, coquette. On sent les premières épines de l'adolescence quand son père la taquine. Ron se jette avec fulgurance dans chacun de ces instants. Et Jul me parait insaisissable entre ses yeux malicieux et son calme sérieux. Chanter les petites grenouilles de Mélie et se cogner au son des artifices craquants et frétillants. Promettre des boucles d'oreilles et des visites pour que ce soit plus facile, de partir.


Mais, je ne l'ai pas vu filer. C'était comme des morceaux d'été, comme rouler dans le bleu et dans le jaune, avec la main au dehors, pour pendre les vagues de vent. Avec cette odeur des cheveux, plus clairs, enfourchés de rayons.

Mai, il parait. Je crois que c'était mai.