mercredi 13 septembre 2017

Lumière chronique 4 : Radios mages et disques mondes

Routes en rubans, déroulées sous les pneus, bornes croquées comme des noix de cajou, l'éternel rotation du caoutchouc sur le goudron, les graviers, ou la terre. Festin gris perle, anthracite, ou ardoise.

Dans l'habitacle, la petite radio cause à toutes heures du jour ou de la nuit. Des émissions du hasard, sur le procès de Bobigny, les Portal de la Fumade, les symboles solaires, des entretiens avec des auteurs, des musiciens, des comédiens ou des chanteurs, une alpiniste. De la pop, du rock, de la chanson, de l'électro. Tout ce qui traîne.

Il y a toujours ce léger ébahissement, à tomber pile, ou face, contre ce dont on a besoin. La radio magique me réserve des clins d'yeux fous sur cette portion de l'autoroute familière. La radio H.S.(celle des Heureuses surprises) m'accueille quand je retourne à la ville. Des envies de danser aux besoins de panser, des souvenirs enfouis aux avenirs mûris.


Les jours où l'inconnu des routes me suffit et où j'ai ce besoin de familiarité dans les oreilles, il y a toujours quelques albums qui traînent, pour chanter, pour se taire. Pour tasser la lumière au fond du pavillon. Il y a des CDs, parfois rayés, derrière la porte voilée de la boite à gants. Se réchauffer à d'autres fourrures, d'autres enveloppements.

D'une découverte à une retrouvaille, le réjouissement, la surprise. Tout m'ébahit. Et puis j'oublie. J'oublie les coïncidences dingues et les frissons visibles. J'oublie les noms que je me promets de retenir. Les moments incroyables, les écailles sensibles. L'instant qui vient passe son aimant sur mes bandes magnétiques, tout peut recommencer. Souvent. Souvent, j'oublie.

Parfois, non.

Début septembre, la fin de semaine mascarade. On dirait qu'on serait en vacances encore un peu. Qu'on roulerait beaucoup, pour retrouver quelqu'un de très cher. Qu'on ferait comme s'il n'y avait rien d'autre à faire. Comme si le lundi n'existait pas. Et la fatigue non plus. Le dos contre le siège avant gauche, les mains sur le volant usé, les kilomètres passent l'un après l'autre sous les chansons de Soprano. Les voix de Bigflo et Oli. Celles qui causent de Barbara. Une foule sentimentale dans l'habitacle quand la pluie me démange la carrosserie puis me bouscule et blesse mes yeux fatigués. J'écrase ma peur en appuyant sur la pédale. Je pense à Verte qui m'attend, de moins en moins loin, et ça me tient. Enfin, il y a la voix de Babx qui masse mes mâchoires contractées. Tout est plus évident. Je pense à son Cristal automatique et à cette Marche à l'amour dont je ne me remets pas. Je n'ose attendre les quelques notes aux pianos, si sûre d'être déçue. Mais en périphérie, la voix dit soudain "Gaston Miron". Tout se tait, et tout tremble. L'eau de la route remonte les canaux. La ville tourne, un feu après l'autre, jusqu'aux chemins déserts.

"Dans les giboulées d'étoile de mon ciel / l'éclair s'épanouit dans ma chair / je passe les poings durs au vent / j'ai un cœur de mille-chevaux vapeur / j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle."

Quand j'arrive devant la maison, le poème et la musique touchent à leur fin.
Ce n'est pas croyable. Pas plus croyable que cette pluie qui s'était mise à tomber en même temps que mes larmes, quelques années plutôt. Pourtant c'est exactement ça, juste à la seconde près. Et tant pis si ça ne veut rien dire. Si c'est le hasard, la coïncidence. La contingence.

Ca cogne 
en plein
à 
mille
temps que nous sommes
temps d'être
présent



dimanche 10 septembre 2017

Lumière Chronique 3 : Et des gens, autour.

En rentrant dans la vi(ll)e, il y a eu ce bonheur de retrouver ceux d'ici, ceux avec qui étaient de  la vadrouille, ceux pas vus depuis deux mois. Et puis le retour des collègues.
"Alors ces vacances ? "
"Et M. c'était comment ?" 
"Tu l'as prise, cette semaine d'écriture ?"
"T'es allée où déjà ?" 

Les réponses se bricolent, plus ou moins longuement. On se raconte les lieux, les expériences, les moyens de transport, les anecdotes de plans foireux, les impressions fugaces. On se raconte en dates et en itinéraires. On se dit que ça va, ou parfois pas. On se répète, d'une conversation à l'autre. Des phrases se moulent, et reviennent, telles quelles. 

"Ce n'est pas l'endroit où je serais allé en premier mais du coup..." 
"Une belle surprise." 
"Les villes sont magnifiques, mais on n'a pas arpenté la campagne autrement qu'en bus. Pas d'ombre et 40 degrés. Zones pelées. Que l'ombre des cactus." 
"Plein de gens et de lieux. Deux ou trois jours chaque fois." 
"On a été près de B. chez la mère de. Et puis après. Ensuite on a. Et enfin, s'arrêter à. Avant de rentrer."
"Pas l'habitude de passer tant de temps sans me retrouver seule, mais c'était bien." 
"Presque pas écrit, mais c'est pas grave."

A l'intérieur, c'est autre chose qui se dit. 

Cet été ? 
C'était beau. Beau, t'sais. 
Pendant des années j'ai eu du mal avec l'été. Mais les derniers. Le dernier. C'était beau, t'sais. Beau à s'en essouffler. 
Des kilomètres comme des fils d'une ville à l'autre, d'un.e ami.e à l'autre, d'un membre de la famille à l'autre. A sentir les liens tenir, à épargner les coutures, à défaire le labyrinthe et les distances qui estompent parfois. 

Cet été ? 
La chance, dis. La chance dense. 
La danse. 
Tous ceux là à serrer dans les bras. Tous ceux là avec qui rire, parlerparlerparler, jouer, se taire, sourire en coin, se balader, boire des verres dehors, glousser, pleurer, dormir. Dormir, avec cette confiance qu'il faut pour partager un toit, une chambre ailleurs, un quotidien, et la fluidité pour ne pas se gêner dans la cuisine. Tous ceux là avec qui se dire la vie, à tous les étages, se dire les choses crues, se dire les choses tues. Tous ceux qui envoient des petits mots, douuux, ou qui les disent en vrai, souvent l'air de rien. Mais j'entends. Ceux qui ne nous ressemblent pas, et qu'on retrouve avec délices ici ou là, avec la certitude qu'on se reverra, dans un mois ou un an, qu'au pire on s'aimera de loin en attendant. 

Les kilomètres qui s'engouffrent sous le bas de caisse me fatiguent un peu et me ravivent beaucoup. Ils ne nous éloignent pas. J'ai l'impression de glisser sur les routes et les airs comme sur des rubans anthracites. Déliant les pas, nouant les liens. Je sens chaque présence, au loin, au bout d'un fil. Pas de ces laisses sur lesquelles on tire mais de ces laines nuageuses, extensibles dans lesquelles on s'enroule pour se rapprocher. 

Cet été ? 
L'amour. 
Je me méfie en général, avec ce mot fourre tout, badigeonné de grenadine collante, dilué dans des eaux pas très nettes et éructé par des bouches insipides. Mais faut bien le reconnaître, au delà de son déguisement laid de tous les jours, quand il se pointe en soufflant autour des épaules, on ne peut qu'arrêter de prendre des grands airs, et prononcer son nom. Parce que c'était ça, cet été, se rappeler combien j'aime tous ces gens de ma vie, et sentir de manière plus aiguë que c'est visiblement réciproque. Certes, il y a les aspérités et les défauts de fabrication, ceux qui font qu'aucun de nous n'est un modèle de série ou de perfection. Il y a les rugosités par lesquelles s'accrocher, et les failles qui laissent le rire résonner longtemps. Les cases en moins qui laissent de l'espace pour se rencontrer, le temps d'un coup de fil, d'un repas, d'un séjour partagé. Cet été, se sentir aimé.r.