mercredi 30 octobre 2013

Péri-phrases

C'est l'histoire d'une fille qui veut écrire un billet sur la procrastination.
Et qui le repousse.
Sans cesse.


En attendant, une sensation.

Ce matin, j'ai fait pratiquement le tour du périphérique lyonnais. De la partie sud de Gerland à l'autoroute direction Paris.
Cela a été le deuxième moment le plus extraordinaire de ma journée - Une voix pas entendue depuis des éternités est sacré moment le plus fou, que voulez-vous - et ça peut paraître un peu triste. Mais en fait pas du tout.
Il y avait le soleil. J'avais décidé que j'avais le temps. De la même manière que les gens à sec le deuxième jour du mois décident qu'ils peuvent jeter encore deux cent euros en jetons sur la table de Black Jack, certes... Mais ce qui compte c'est de ne remarquer de l'heure que les chiffres répétés. "On pense à moi alors".
Il y avait du soleil, de l'air, assez pour s'imaginer qu'il s'agissait simplement d'un matin d'été un peu frais. J'avais encore le goût de cette bière chocolatée de la veille et des discussions autour.
La musique, d'abord Janis Joplin, comme il se doit. "don't you know that you're nothing more than a one night stand, tomorrow I'll be on my way... catch me if you can..." avec le léger décollement des racines et la route qui s'étend. Un jour les steppes de Mongolie, le Nevada, la 66, un désert africain. En attendant es grands espaces, les voies express que je rappe doucement.
Et puis avant les tunnels, les rythmes de Stromaë. Idéal pour rentrer dans ce nouvel univers nocturne. Avec les lumières qui oscillent sur le visage, les voies aux courbes larges, les chevrons sur le sol. Le tunnel a cela d'angoissant qu'il ne propose pas d'alternative. Mais cela de rassurant aussi qu'il nous mène certainement à un but. A une autre lumière. Le tunnel fait toujours ressortir une facette de mon petit vitrail que personne, je crois, n'a jamais vu pleinement. Peut-être que ça se devine parfois, cette envie de vitesse, cette tension complète vers le but, cette assurance déliée de conducteur de jeu vidéo. Peut-être que ça se devine, ce battement qui me rend dansante d'un mouvement si lointain de mon corps et de ma danse habituelle. Dans les tunnels, j'ai cette vibration que j'imagine chez les amoureux des clubs et des dancefloors (auxquels je suis généralement allergique). Certains vont en boite. Moi je passe dans des tunnels. Bon.
En quelques secondes, le jour et la nuit, le rock, l'electro, plus tard un peu de chanson et de flamenco. En quelques secondes, l'arrêt et la vitesse, le monde et l'absence, les embranchements tortueux et les lignes droites univoques. En quelques secondes, un concentré de présence. Tout ça qui se planque bien précautionneusement derrière un simple tour de périphérique. On n'a encore rien trouvé de mieux que les explosions qui se cachent dans les choses les plus laidement communes.
Contourner les blocages, les noeuds, le cloisonnement massif du regard. Se faire mal aux yeux au début, de l'espace ouvert et sans paroi. Voir les choses de loin pour se rappeler ce qu'il y a au dedans. Continuer à frapper le rythme de la paume de la main, quel qu'il soit. Toujours penser à faire le tour de la per'euphorie. A interroger les périphrases.

dimanche 27 octobre 2013

Tessons et cailloux #12 : Les fils lancés

Sur les carnets feuillus de l'automne, il y a toujours des moissons de cailloux et de tessons.

Les tessons, le long des routes, ou sur les murs, pour venir se ficher dans les pieds, dans les doigts qui essayent d'escalader les mondes cachés. Il y a des classes qui traînassent et ricanent, il y a le doute toujours, "est-ce que je fais bien, est-ce que je fais mieux", il y a les copies qui s'empilent et terrorisent. Il y a ces satanés miroirs qui brament au coin des jours, et la culpabilité, cette vieille copine, qui ramène parfois son museau et qui a du mal à se faire oublier. Il y a les craintes ancestrales fossilisées le long de la colonne qui dictent les stratégies de fuite, d'évitement, d'hivernage.


Mais, si je le dis à voix basse, et bien précautionneusement, les cailloux sont bien plus nombreux ces derniers temps. Ils semblent pousser comme des champignons, comme des trompettes de la mort outrageusement parfumées malgré leurs dehors morbide. Il y a de la vie suspendue dans l'attente, et pourtant, des choses rondes et chaleureuses qui roussissent dans les jours horizontaux d'octobre. De quoi se construire des abris de galets, de quoi poser quelque chose sur les plaies. De quoi se salamandrer au soleil. Celui qui me surprend dans les classes vampires qui refusent d'être éblouies. Celui des moments de grâce, en parlant d'Antigone, en parlant de Hip Hop, en parlant d'orientation, en organisant un concours d'atmosphère fantastique.


Dans un premier brouillon, je vous parlais d'un week-end avec Bou, d'un appel vidéo avec Verte. Mais je bavardais des heures pour essayer de raconter combien avec chacune nous avons vécu, des fous-rires aux jours pires. Et combien pourtant j'ai la sensation que c'est juste le début. Bon, voilà, Bou et Verte sont très très différentes. Et ce sont mes amies. Et là dedans, tout est dit.

Les amis, je les compte sur mes doigts. Les vrais, ceux qui habitent loin mais qui sont les plus proches, ceux qui savent que je suis incapable d'écrire régulièrement. Ne m'en tiennent pas rigueur. Sont parfois comme moi. Ceux avec lesquels, même après des mois sans nouvelles, on peut parler de l'essentiel. Ceux qui comprennent qu'il est vain de poser une question du genre "Que s'est-il passé ces six derniers mois ?". Ceux avec qui les silences sont lumineux. Parmi eux, il y a ceux que je retrouve dans moins d'une semaine. Parmi eux, il y a celle qui rentre temporairement en France et dont la voix, ohlala, la voix me manque. Parmi eux il y a celle qui a envoyé un mail incroyable. Cet élan amical porte et me rend étrangement légère.

Des futilités me réjouissent, de la coupe de cheveux au bleu sur les ongles. D'un regard échangé à un prénom prononcé. D'une bière avalée à l'autoroute traversée. Des blinis cuisinés au safran qu'ils m'ont ramené.


Au retour dans la ruelle, je crains l'atmosphère du temps grimaçant qui suspend son vol quand on sait que pour l'autre, là-bas, il avance à grand pas, et hâte le travail des Parques. La crainte du vide après la fin d'une tapisserie. Mais tant bien que mal, on joue, on Dixit, on Indix. On se marre comme on peut en tant de peur. On chante n'importe quoi. On se nourrit de jeux de mots douteux. Comme dans les montagnes, il y a du monde qui va et vient. Je n'ai pas appris à vivre autrement. Qu'avec des jeux, des chansons, des repas en commun, du monde qui va et qui vient, des discussions sans fin.

Avec S. nous prenons le train pour le travail. On apprend à se connaître petit à petit. Je ne lui dit pas qu'elle a le nom de ma plus ancienne amie, celle à qui je n'ai pas parlé depuis un an, que je ne sais pas comment appeler, à qui j'ai écrit, enfin, la semaine dernière.

D'ailleurs, ces derniers temps, beaucoup de messages importants, par voie ondine ou postale, aerienne ou vocale. J'ai laissé partir des déclarations, des remerciements, des aveux, des adieux.


Et dans ces envois et ces audaces, mon coming-out.
Celui de presque poète.

Le premier manuscrit est terminé, il est parti un matin d'automne, en me laissant un grand bazar dans le ventre et une crainte bien imprégnée. La mer et la montagne, ensemble, ont roulé leurs pierres et croisé leur fer. Maintenant, j'apprends à l'oublier avec que la réalité ne revienne (en pleine tête ?).
Mais ramasser des cailloux, c'est aussi apprendre à les jeter du haut des falaises, à se jeter dans les vagues, sans savoir ce qui va arriver. Apprendre à s'abandonner. Mon prof de philo de Lettres Sup en faisait une définition de l'amour. (Un mot que je n'utilise presque jamais. J'ai grillé mon quota ado.)

Se lancer. Enfin.



mardi 22 octobre 2013

"Quand je l'aime beaucoup je l'appelle Xururuca..."

La semaine est passée comme sous un tunnel, avec des morceaux de lumière fugace sur le visage obscurci. Les débordements de l'esprit, du corps qui tire pour glisser les breloques le long des jours. Et puis le vendredi, l'oasis promise se contoure : une formation sur la présentations de livres, qui semble être un mirage après cette semaine lancée à vive allure. En sortant, j'erre dans les rues, surprise par tout cet espace qui m'est soudain offert. Deux dictionnaires de symboles dans le sac je vais me réfugier au 44, dans le clafouti et la chantilly maison. Voilà de quoi peupler la vacance, des lectures et de la chantilly maison. 




Le lendemain matin, la route, la belle route, m'enjoint au mouvement. Il faut la tirer comme un fil, survoler le viaduc, enjamber les gorges, gravir quelques montagnes pour arriver, enfin, au cirque de pierres et de racines. Elle attend, habillée en dimanche, son sac posé à ses pieds devant la grande maison. Il y a un soleil inattendu pour octobre, qui éclaire les hauteurs. On oublie, entre le jardin soigné et la maison, les heures si sombres qu'ils ont connus ici. Comment deviner les flammes, les jambes qui s’emmêlent et le goût de la trahison ? Il fait beau, et nous sommes dans ce bout du monde comme cachés de la vie. 
Eux deux aussi sont arrivés, et après les embrassades, on s'entasse dans la voiture noire. Rouler simplement dans les montagnes, entre les arbres. Les combes sont là, proches, offertes comme si c'était évident, tant de beauté d'un coup. On ne dérange pas, on ne fait que passer. On s'asticote sur des trucs bêtes, comme toujours, mais on ne cherche pas trop loin. Laisser l'orage au dehors, il viendra bien assez tôt. Devant la table les rires s'entraînent, et le temps passe comme s'il était pressé. On se retourne, vers la maison, vers les paysages sur lesquels on recule parce que ces gourmandises sont les seules dont nous avons encore faim. On prend le chemin de la fromagerie, pas celle où le bleu est aigre, non l'autre, celle où le fromage a du goût. Ravitailler nos palais citadins, prévoir la fondue du lendemain. Le cimetière un peu plus loin, où se disent simplement quelques mots sur la mort. Où les rires ne sont pas bannis. Les fleurs en plastique en haut le coeur, et quelques mots bien sentis sur les bouquets d’âneries. "Jamais de plaque, mémé, on te promet".


La voiture noire repart, et nous voilà toutes les deux, avec encore le goût de menthe et de réglisse dans la bouche. Et les choses se tricotent, paisibles, comme elles se tricoteront tout le week-end. Avec des discussions, quelques silences, l'odeur de la cuisine qu'on fait à quatre mains. Parfois, quelqu'un cogne au carreau, derrière il y a des amis pas vus depuis longtemps ou de la famille. On s'assoit devant le café dilué ou un verre de sirop d'orgeat et des biscuits. On parle du temps, des champignons, de ceux qui sont à l’hôpital. On fait la liste des morts de la semaine. On fait des blagues, pas toujours de bon goût, mais il faut bien ça, pour que le reste soit acceptable. Le dimanche on mange beaucoup trop de fondue, et on dit toujours autant de bêtises. Avec ma tante Si on parle de bouquins à lire et de spectacles à voir.


Alors oui, il y a les petites remarques sur le mariage, il y a les yeux qui se ferment après le déjeuner quand la conversation s'éternise et les grosses fleurs roses sur la nouvelle tapisserie. Il y a toutes les petites taches sur les peaux, les sourires, les sols et les moments, ces fissures de quand on a vécu. Il y a nos petits défauts, ceux évoqués sur le site d'analyse des prénoms hallucinant et puis les autres cultivés en secret. Oui, c'est imparfait, si justement imparfait que je ne demande rien d'autre. 

Je ne saurais vous dire ce que je ressens dans cet endroit. 

Je pense à Pagnol dont ce ne fut jamais le pays. La musique de Cosma surprend mes lèvres devant les montagnes. Et puis il y a cette phrase qui revient souvent dans mes pensées ces derniers temps. Cette phrase, partagée avec une jeune femme que je ne connais pas mais qui écrit un blog qui m'émeut tellement. Cette phrase à laquelle je pense en humant l'odeur de l'escalier. "Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants". Je réalise qu'elle disparaîtra un jour, l'odeur qui n'existe que dans cet escalier et qui me rattache aux mondes disparus il y a longtemps. Il y a quelque chose qui écrase ma poitrine à cette pensée. A la sensation que je ne peux pas l'enfermer dans une boite pour la ressortir ces jours d'inoubliables chagrins.

Ici, je me sens suspendue. Il y a l'évidence, l'odeur de l'escalier, celle du bois qui réchauffe, le vent qui souffle la nuit entre les arbres, la vue incroyable en ouvrant les volets. Il y a les audaces de ma grand-mère, et ses yeux profonds. Ses cheveux encore sombres, sous les quelques brins de laine blanche, sont doux. Je sais que la douceur est menacée. Que dans les mois qui viennent, pas si loin d'ici, il y aura pertes et tracas. Que ces simplicités sont vouées à se fendre sous le vent.


Dehors ça souffle.
Mais pour le moment, la maison n'est pas de paille, le feu frétille et ma grand-mère continue à l'alimenter. On coupe les virages, on rit. On s'enfonce dans les bois, on s'enfance encore un peu tout en sachant que le loup reviendra.
Qu'il soufflera plus fort.
Et qu'on fera avec.