samedi 26 avril 2014

Pas Fragile


J'allais faire comme souvent, un billet avec rien, avec les rayons de soleil et de vélo du printemps estival, avec le jaune outrancier des champs de colza, l'ombre réjouie des lunettes de soleil et le contraste des violettes sur les murs de pierre. J'allais vous parler des heures de route, pour regarder passer le jour et la nuit en compagnie des Têtes Raides et des Ogres, dans le secret le plus complet.

"J'veux pas savoir / j'veux pas connaître la suite / Et soit je m'arrête / soit je m'implique / On voudrait bien qu'il arrive quelque chose / [...] / Casser la routine pour que la roue tourne / Pas rater le tir et repartir pour un tour  /// Mais parfois on recule... "

Les hasards de l'instinct que disent la carte aperçue aujourd'hui, 'Dance without knowing the next step'. La joie dont j'ai parlé mille fois, celle des nouveaux horizons, fussent-ils petits et tout proche. Une rue jamais prise, un champ jamais vu, un nom sur la carte, pas remarqué. Pensant à ce cours de philosophie sur la caresse et la danse.

"Elle se lève à l'ouest / en se prenant les murs"

Puis, un cauchemar. Le deuxième de la sorte. Le deuxième avec un homme, avec des gens, avec une lettre qui n'arrive pas et des paroles banderilles. Le lendemain, sur le site, il y a trois jours de juin qui brillent, trois jours à promesses et la frustration de savoir que non, que pas, que rien. Qu'il y a bien des univers parallèles qu'on ne touchera pas du doigt.

"Jusqu'où petite / tu repousses les limites / du "ce qui ne tue pas" / ne rend pas comme tu crois / plus forte à chaque fois"

La fin du monde qui s'ensuit, d'avoir le bras trop court et les bas effilés. La fatigue sous le marteau des questions qui se font affirmations. Peut-être que finalement, le jaune des colzas ne suffit pas. Que les chansons qui roulent de mes lèvres, que l'ombre qui défile non plus. Qu'il faut pouvoir en plus les hurler à d'autres, les étirer entre ses mains, se les tatouer pour plus tard. Les garder.

"Les enfants des autres qui courent sur la plage / les ballons, les châteaux, les nouveaux paysages / la foule, les villes et les aires d'autoroute / la lumière qui rend beau, les poèmes à trois sous / ça sert à rien..."

Les garder, dans des bocaux pour revoir plus tard et mieux les cuisiner. Les conserver dans l'huile, dans la saumure. Laisser fleurir le goût de ces moment jusqu'à ce qu'à la place des bourgeons il y ait des étendards. Les laisser dans l'ombre, dans un tiroir, où ils passeront peu à peu, changeront de couleur.

"Le rouge sur mes lèvres, le rouge que je bois / Le travail et la fièvre que personne ne voit [...] / Les moments précieux certes ponctuels / les étoiles pour une fois que l'on voit dans le ciel / ça sert à rien..."

Les moments de présence, il faut les glisser entre des pages de dictionnaire. Parce que c'est sur, sans qu'on n'y voit rien, ils nous changent les mots, ils leurs donnent des taches et des couleurs. Ils bavent sur nos phrases, il les sillonnent et les usent. Et voilà qu'un jour, en ouvrant à la lettre C. un nom est barbouillé de Colza. Le moment, lui, a séché, mais son odeur flotte dans l'air encore un peu. Sous sa douceur passée, il rappelle combien il a été vif et fringant.

"Et les bulles et les bals / les paillettes et les danses / nos costumes qui font foire et nos belles révérences / ça sert à rien / ça sert à rien de nous mettre / ta plus jolie robe / d'avoir le coeur à la fête / optimale, optimum / si c'est pour rien..."

Ou alors, il faut leur laisser les pieds dans l'eau, dans la terre. Si on n'a pas le choix, dans des vases ébréchés, pour mieux laisser passer la lumière. Les laisser défier le temps, les gorger encore de vie. Bien sur que le temps passe et que ça meurt et tout et tout. Mais ça n'empêche les instants de présence d'être sans mesure et donc sans fin. Pas sur cette espèce de ligne de fer des heures, mais dans l'épaisseur des choses. Et dans l'épaisseur, il suffit de creuser, il suffit de tout ouvrir en grand. D'arroser et de laisser pousser.

"De plus jamais faillir / heureux de trois fois rien / venir à bout des dragons / et plus lâcher les chiens / ça sert à rien..."

Non, le jaune des colzas ne suffit pas. Et si je veux le garder, c'est pas tant pour garder, en vrai. J'y connais rien en bocaux, en congélation, en photographie, en cryoconservation, en enfermement.  J'ai pas les poings qui ferment assez. J'aime trop laisser les trains passer sous mon nez, et les gens me doubler. C'est plutôt de nourrir. Parce qu'en pleine mer, quand on cherche où aller, c'est trop dur de tenir trois secondes d'obscurité si on n'infuse pas en plein l'éclair du phare.

"Et plus lâcher les chiens / ça sert à rien
Si y'a personne"

Non le jaune des colzas ne suffit pas, si on ne peut pas l'étirer assez. Si on peut pas en filer des morceaux aux autres, si on peut pas en filer des frissons à l'unisson. Même en décalé, même pas pour les mêmes raisons, même autrement. Si on peut pas s'en gaver ensemble, comme le beurre qui transperce les croissants à pointe de sel du dimanche matin. La présence, la beauté, tous ces trucs là, ça donne pas vraiment envie de se goinfrer dans un coin. Même quand on s'en délecte seul. Et je crois que Proust, quand il parle des clochers de Martinville, il ne dit pas autre chose. Il y a des choses au dehors qui viennent nous provoquer, en duel. Qui révèlent ou qui aiguillonnent un désir. Et puis au milieu de tout le reste, il y a l'envie de conserver ces moments là, et de les partager. De les extérioriser enfin, et de se délivrer de leur étrange pouvoir.

"Elle ouvre la porte et la brèche"

Mourir un peu ce soir là, sous l'impression de ne plus pouvoir écrire. Ça perce quelque chose, juste au coeur de la joie. Voilà que ça bave partout, sur les violettes au mur et sur le camaïeu de verts.  Tout devient grossier, niais. Ce jaune colza, quel vulgaire. Et à quoi bon de toute façon ? A quoi bon la joie et les routes, les violettes et le reste, si je ne peux pas l'écrire, comme ça ou autrement ? Le soir, je mets très à longtemps à me refaire un masque pour aller boire un verre. Comment on explique ça, qu'il y a un précipice là où tout le monde ne voit que de l'opulence. Comment on explique que quelque chose semble se tarir, se dessécher, oui, pour un cauchemar et pour trois jours ratés ?

"Tu sais bien que la bohème c'est parfois un temps de chien"

Après, se remettre un peu. Se forcer à écrire, à piller le temps que je n'ai pas. Commencer à finir un peu les squelettes. A mettre des murs dans ma tête. A faire des grands espaces, des canyons, des ciels pleins de silence pas débordés par le travail. Ca tire, c'est douloureux et pas très efficace. Le collège ne cesse de sortir par tous les pores. Oui, c'est ça, mes murs sont poreux. Ca sonne beaucoup trop comme peureux.

"Désolée pour l'bordel / désolée pour l'retard / désolée d'me faire la belle..."

J'ai de l'aide, pour créer de l'espace. Il y a la visite de la chère S., nos conversations toutes libres et un peu étonnées de l'être, une géante qui avance devant les immeubles, des dents de lion à souffler au bord du fleuve, une machine à écrire, et l'herbe du parc sous la peau. Puis, la vacance et son pluriel,qui amène son lot de famille, de routes, de sommeil et de livres. Qui amène un soir, un cher passereau vient se poser sur ma branche quelques jours. Avec elle, se retrouver avec facilité et calme. Sans besoin de meubler tous les moments de parole. Accepter que mes phrases se cassent la gueule et que l'accent soit moins digeste que le curry végétarien. Se mettre en marche, aller au bout du monde (si vous vous demandiez, au bout du monde, il y a des cascades, beaucoup de pissenlits et de la pierre d'un gris divin. C'est un cirque de forêt, le bout du monde), aller au dessus du bois des fées. Manger un peu trop, mais cuisiner ensemble. Pique niquer devant les vignes, ébahies, sur des tables de pierre et de bois. Et c'est plus léger, de ne pas écrire, parce que, la beauté de ces jours se partage d'un geste, comme le chèvre quand on n'a pas de couteau.

"Quand j'serai une fille / avec des jambes de gazelle sur des talons aiguilles / je lâcherai je lâcherai mes béquilles / Je me lâcherai me lâcherai dans le vide"

C'est toujours le dernier soir qu'on se dit les choses moins évidentes. Et c'est bien, la légereté du lendemain. De savoir sous la tristesse, sur le seuil de l'appartement ou sur le quai, qu'il ne reste rien à ajouter pour le moment.

"Hier j'ai sorti mon corps tout lourd / je l'ai baladé dans la vie"

Celar m'a envoyé un message, si vous saviez. Comment est-ce qu'elle fait pour toujours rappeler les morceaux de moi dérivés au loin ? Plus généralement, Passereau qui me parle des mots, et S. aussi, Celar qui sait, en espagnol, qui me le dit, et si Celar sait, je la crois.

"Je marcherai dès lors bien plus légère"

C'est vrai, je le dis vite et en tremblant, la peur en gorge d'être prétentieuse, mais c'est une évidence.
presquepoète
Passerau reparti vers sa maison, vers lui, les chevaux, le chat, les poules, quelques elfes et quelques fées, sans doute. En Ecosse, ils se retrouvent tous ce soir, sans moi. C'est vrai aussi, ce soir je suis triste. J'écoute l'album de Buridane dont j'ai parsemé ce texte. Ce disque qui me parle beaucoup trop pour être honnête. Une chanson est venue me frapper sur la radio magique. Suivi d'une chanson de C. Dont nous avions parlé la veille avec Cl. Trop de C. et trop de coïncidences et trop de belles choses pour se laisser aller à l'absurde.  

"Je reviens debout. Pas Fragile"

Triste. 
Pas fragile.


[Tous les passages entre guillemets et en italique sont de Buridane]

jeudi 10 avril 2014

Tessons et cailloux #13 - Plongeons

Depuis que les jours ont cessé de s'écosser, et qu'il a fallu revenir aux armures de tous les jours, aux sourires et aux jeux de la voix, aux calmes forcenés et aux gestes retenus, le printemps est venu, déjà, prématuré, poser ses mains de coton sur les bras.

Il y a eu, bien sur quelques tessons, des piques fichées et sanglantes, des questions en forme de crochets métalliques, des détours de la cheville et des entorses à l'agrément intérieur. Il y a eu des plans contrariés. Une retrouvaille attendue est passé sur le quai sans s'arrêter.

Mais beaucoup, beaucoup de cailloux. A défaut du voyage, il y avait Mélie dans Marue, quand je suis rentrée du travail. Amélie, devant la porte, étrange et évident. Bière en terrasse, rencontre surprise, gloutonnerie gluten et Yogi tea à la lueur du réverbère d'en face. Au matin, on se départ, sur la même aire que la dernière fois. Elle a ses couleurs à l'eau dans le sac, son sourire sur l'épaule. Moi aussi, même si ça pince les cordes submersibles, de ne pas partir ensemble, avec Bertrand Belin et du chocolat aux graines. A la place, je profite du temps pour une visite à la grand-mère. La cheville tappe des pieds sur la peau, fatigue bien trop vite, mais c'est bien, cet imprévu là, la tarte au fromage dans la cuisine qui a vu passer des générations. Et puis, au retour, dans la cuisine, il y a les speculoos de chez Dandoy. 


Tout a l'odeur du chlore. Qu'elle est lointaine, cette sensation de nudité partielle et des doigts de pieds recroquevillés sur la faïence (qui n'en est pas). Scanner le bassin du regard en cherchant la ligne la plus vide et puis, se lancer dans le mouvement. Les muscles des bras se rappellent à mon bon souvenir "On était là, nananèèèère". Il y eut un temps où je nageais si aisément. Le crawl, sur des centaines de mètres, ne savait me fatiguer. Il faut reprendre du début. Brasser de l'eau comme on brasse de l'air, sans résultats, essayer de ne pas vouloir aller plus vite que la mécanique. Dans les petites douleurs immanquablement créées par les frictions avec le monde, l'euphorie aussi de cette rencontre à étincelles. Sur le chemin du retour, il fait beau, j'achète une tarte au citron. Et je trouve le nom du prochain recueil. 

Un soir, après les vacances, je vais dans la librairie rouge. Celle qui fait que je sens que j'habite cette ville. Je n'y ai pas de proches, mais la libraire et la dame du salon de thé me connaissent. C'est un signe qui ne trompe pas. Dans la librairie rouge, je ne connais personne, sauf la dite libraire, qui me sourit, parce que je m'origamise en petit corbeau sous l'inconnu, moi qui entre le noir aux robes et le rouge aux lèvres. Dans les mains, des pochettes, des papiers, des livres. Dans le cercle, c'est de la poésie, qui se dit, qui se lit, qui se trémousse et qui se rit. C'est de la poésie que l'on se donne, entre inconnus, de la poésie qu'on rompt et qu'on repasse, qu'on goûte et qu'on fricasse.

Le même soir, après la poésie, les rues m'emportent vers les co-pins-co-llègues qui m'attendent avec une bouteille de vin blanc. Je suis claquée et je mets du temps, toujours, toujours, à démasquer, à laisser tomber les bras et à poser les boucliers dans les poches. Mais n'empêche qu'il y a sous l'air de n'y pas toucher, des questions de prénom et de voyage à l'étranger. Avec deux nous irons, le lendemain, en promenade. Comme la piscine, j'avais oublié ce que ça faisait, d'avoir des gens juste à côté avec lesquels se balader, des gens à qui donner rendez-vous pour dans quelques heures plutôt que quelques mois. C'est dingue ce qu'on oublie, dès qu'on a passé deux trois vies, pas pareil. Deux trois lits, deux trois rues, deux trois villes. Deux trois éternités, à transitionner, d'un mois à l'autre, d'un soi à l'autre. Comme ce vent là fait les mains rêches et comme il faut frotter longtemps pour retrouver dessous les cellules mortes entassées, un semblant de peau et de sensibilité.

La poésie et le vin blanc, dans le même soir, ça ressemble sérieusement à un "ici". Et pour repiquer celui-ci, je ravale des façades, je maquille les murs, remodèle les espaces, réincarne le visage. Parfois je me rappelle que les pinceaux de maquillages qui traînent dans la salle de bain ressemblent à l'abdication de tout ce que j'ai toujours dit ou fait. Peut-être que ça l'est un peu et que je me le cache. Mais ce que je vois, quand le teint revient, que le fard s'étire jusqu'à se fondre, quand le crayon pointille et rayure, et que le mascara frôle les cheveux de mes yeux, ce que je vois, en vrai, c'est la couleur. C'est une réorganisation de ma propre carnation. Un peu plus d'unité. Un peu plus de contraste. Du bleu et du jaune juste au bout du doigt, comme quand on se cogne mais en plus vif. Et le rouge. Bon sang, ce rouge aux lèvres qui dit enfin ce que j'ai toujours senti au dedans. A mordre et à rire, outrageusement. Il ne s'agit pas de faire joli, en vrai. Il s'agit une fois de plus d'être sur la même longueur d'onde que les palettes du dedans. Il y a des jours sans rien, les boutons obstinément ouverts, les cellules à crue sur le monde. Et puis il y a des jours à souligner. 

Un collègue discret, que je croise rarement (mais qui m'intrigue beaucoup, et qui m'impressionne un peu par la finesse de ses traits comme de sa pensée) parle de la nécessité qu'il y a à ce que nous retrouvions notre voix, à ce qu'on ne devienne pas des machines à séquences, à ce qu'on n'oublie pas que la littérature est d'abord... de la littérature, et non un réservoir à procédés. Il faut qu'il y ait du sens. OuiOuiOui. Mais oui. Je me suis sentie moins seule et moins coupable dans mon regard (naïf) sur le métier.

Il y a ces heures là, toujours les mêmes, à rire de rien, de fatigue et de gourmandise. Avec ce rire nerveux qui m'agace un peu et me donne des airs de greluche.  Féliiiiixe, mais que tu es nunuche. Comme l'été où j'avais pensé "Oh, Félixe, mais... tu badines !"

Au bout du fil les derniers jours, il y a eu Celar et il y a eu S. On a parlé en pelotes de lavielamour, de poésie, de voyages, de festival, de l'été à venir et des semaines prochaines, de femmes, d'hommes, de départs et de bouleversement, de poésie l'ai-je bien dit ?, de théâtre, de routes, de maisons d'édition, de traduction, de marche, de jardins et de temps, ensemble, vraiment. 

Et puis dimanche, au niveau de l'eau, comme en vacances, j'ai pris le carnet bleu et juste au bout, dans les rayons et
le son de l'homme qui jouait de la clarinette debout dans l'herbe, un poème est arrivé. 

Depuis le pont, bien à l'abri, se surprendre à plonger.