jeudi 12 septembre 2019

Dans un jour ou deux, si on est heureux...

Les bus est reparti, les élèves aussi. Dans la voiture, il est resté la nuit et Peter Doherty qui chante "Paradise is under your nose".
La nuit
La vie
Est drôlement belle.

Le voyage avait commencé avec les appréhensions de toujours chiffonnées dans la zone sacro-iliaque. Encadrer des élèves quelques jours, vivre ensemble en auberge, dans le bus, en se demandant si on saura faire, si la distance sera juste, si on sera la prof qui gâche un peu la vie de voyage, la prof qui lui apporte un petit supplément de souffle ou celle qu'on aura oublié dans un an ou deux (si on est heureux...). Se blottir contre la vitre et le siège, casque sur les oreilles. Dormir un peu serrée dans la peur de mal faire et celle de ronfler.

Il pleut à peine quand on arrive. Il pleut quand-même. Un petit temps avant la visite pour se dégourdir les jambes. Certains cherchent déjà des épées en bois dans les boutiques pour jouer. Même à 16 ans, "on dirait qu'on serait". Des chevaliers ou des zombies. Des princes sous la pluie. Le guide les emmène entre les pierres, dirige leur regard. Moi, je les observe, ceux qui écoutent avec avidité, ceux qui s'ennuient, ceux qui regardent plutôt la charpente ou le mur. Dans la boutique, certains traînent vers les sceaux et les plumes, les encres et les carnets, le regard envieux. Je souris à l'intérieur de savoir que j'ai un peu le même. On les laisse gambader, trottiner, ouvrir leurs sacs de pique-nique précipitamment. La journée s'étend sous nos pas et nos odeurs de chien mouillé.

A l'auberge le soir, on oscille entre l'ultra-vigilance épuisante et la joie d'être sortis du tableau, du cadre quotidien. Alors même si tout est limite et de guingois dans ce lieu là, on regarde les élèves vivre un peu autrement, on trinque avec les collègues jusqu'à s'autoriser à dormir enfin, après la millième ronde et la énième vérification que le portable n'est pas en silencieux.

Le lendemain, il nous reste une petite demi-heure de bus pour partir dans l'espace. Le rire cascade tout seul à côté de Soage C'est la fatigue. Ou les ados. Ou le soleil qui tape trop. Comme à chaque fois qu'un autre monde se rappelle à moi, j'ai envie de tout apprendre. Je sais que je ne le ferai pas, mais c'est encore une vie alternative possible. Incroyable, toutes ces vies auxquelles on n'a même pas pensé.

Je déambule seule un moment, et j'apprends comment on fait les étoiles. Il faut beaucoup de chaos...Et Caetera. 

Quand on remonte dans le bus, je regarde un peu les visages fatigués et contents. Avec Fleur et Soage, on écoute les choupis-élèves qui débattent. La discussion s'étend aux sièges alentours. Alors, loin des réserves familières, s'élancer à pas mesurer dans la conversation. La joie qu'il y a à parler autrement et surtout à les écouter chercher leurs arguments, leurs mots. A étayer une pensée, une idée. A se corriger parfois. Dans un grand calme. Les mots tournent, partent vers des chemins plus légers. j'observe en souriant la grande amitié, le grand amour, quel qu'il soit - qui sait - qui nait entre L. et C. Je souris des confidences, toutes petites, sur les musiques qu'ils écoutent, ou sur les clichés des adultes. De leurs demandes diverses qui disent surtout l'envie de parler encore, encore dans la nuit, dans ce bus où nous avons tous des têtes de déterrés. L'envie de parler autrement. "Et ça, Madame, vous en pensez quoi ?". Je change mon masque de prof. Je ne m'en dépars pas, mais celui-ci est plus léger, moins opaque. a ce moment là, il faut bien ça, un loup à peine, pour laisser passer des sourires qui ne soient pas pleins de dents.

C'était il y a mille ans et c'était hier. Tenir à ces quelques souvenirs de l'année dernière. Le petit mot d'H. dans la boite mail, les notes honorables au bac, et les éclats des secondes. La silhouette d'A. aperçue dans un de mes nouveaux lycées. La perspective d'aller le saluer, de se réjouir de savoir qu'il a eu la filière qu'il voulait après les si nombreux rendez-vous à discuter de la suite. Les encouragements qu'il faudra formuler, aussi, pour que ça tienne.

Quand on est arrivés, à une heure pas possible, tout le monde est parti d'un coup. Dans la voiture, il est resté la nuit et Peter Doherty qui chante "Paradise is under your nose".


C'était il y a mille ans, et c'était hier. J'étais leur prof principale.
J'aimerais bien qu'on me dise des nouvelles de ceux qui étaient là, y'a un an ou deux.

Et s'ils sont heureux, on s'endormira.



mercredi 11 septembre 2019

Lumières chroniques 7 : En septembre, fourmiller

Un soir
Une nuit 
(Ne pas savoir si ça m'amuse ou ça m'énerve que tout commence toujours ainsi
Ici)
Une soir, donc, dans cette semaine où il faut repriser le grand trou de l'été, reprendre le cours, sortir de son lit, ça frémit, au bord du lavabo, après quelques pas de danse. Une mélodie inconnue arrive aux oreilles et descend, jusqu'aux doigts qui font la vaisselle. 
Ca fait quelques jours que ça trotte, fourmille dans les doigts. L'envie d'écrire, juste avec celle de danser.
(pas toujours, mais souvent, concomitantes)  (une parenthèse juste pour le plaisir des parenthèses et de ce mot, concomitante dans lequel j'entends mitan, commettre, comme, mite, temps, tante, comique, mi-temps, mythe, omettre,...  parfois ce con tonitruant). 
Le corps fou, dans la paix. Cette rentrée de la lose passe comme une lettre à la poste, quelque part. Un doigt après l'autre, sous les fourmillements, la tête lâche ses servitudes. Peut-être que ça aura au moins servi à ça, les crachats de la grande Maison, les petits coups de talon de l'institution. A arrêter de crisper les doigts et à retrouver les fourmillements. A retrouver l'envie, tout petit à petit.

Peut-être ça et puis
les mots de Mélie
l'échange avec Gaby
les discussions avec le garçon
et les bras, aussi. 

Peut-être ça et puis
Le lac avec Sandie
Les Fugaces dans le jardin
Les filles de La Collective
La fibre de Dakipaya Danza
Le thé chez Sophie
Les terrasses des amis
Les pelouses sous les clochers
Le ventre retourné
Les grands huit, le tipi
Les jours à la Ruelle 
Les jeux à la Ruelle
Le papier qu'il faut arracher
La cheville qui se tord : 
On fera un pas de côté. 
Les repas en famille,
Les rires des petites filles
Les heures douces rue de l'est
Et les doigts qui fourmillent


Peut-être ça et puis
La lumière et le vent (c'est cliché, mais tant pis) 
Le message de Kathy
Les moutons et la pluie
Quelques pintes de bière, de joie,
Quelques failles, aussi
L'eau dont on sait jamais si c'est un lac, la mer
Le contact des pierres
La musique sur la route
Sur les champs de bataille, la mémoire et l'oubli
Les pubs, les rues la nuit
Le poêle à bois le soir
Les montagnes, les espoirs
Son kway qui s'emmêle
Les quelques grains de grêle
Applecross, tu souris
Une corneille
Le brouillard
Des maisons, et des vaches
Une barbe et une moustache

Les lumières, on a dit
La brûlure du whisky



Il faudra se rappeler, à la fin de l'automne, dans le brouillard de novembre et les carences de l'hiver, les soirs de réunion et les jours de copies. Il faudra se rappeler du mois de septembre. De la grève du zèle. des libertés qu'on prend puisque ça ne compte jamais en fin de. Compte les heures sur le bout des doigts. Rubis sur l'ongle. Lire et écrire encore. Reprendre corps entre les vignes et dans l'eau de la piscine. La légèreté sur les terrasses. La douceur sur le canapé abîmé.
Le fourmillement sur les pages et sur le clavier. 
Il faudra rappeler l'été.