jeudi 15 janvier 2015

J'en vis et, j'envoie...

Janvier.
J'ai mis le temps pour
Arriver. 


Pour venir ici
Vous présenter mes voeux
Je réfléchissais à ce que je voulais souhaiter aux gens cette année. Dans le train qui me ramenait de chez la très belle Verte. Dans la voiture qui me ramenait de la maison familiale. Baignée de ces visages tendres. En écoutant la Cantate pour Louise Michel de Michèle Bernard et en chantonnant "le vent qui court à travers la montagne me rendra fou".  Et aussi dans le fracs de cette semaine. 
Je crois avoir mis le doigt dessus, sans l'écraser. 

Je vous souhaite de la douceur. 

J'ai beau aimer de la vie ce qu'il y a de rugueux, de frictions, de brûlures, tout cela serait invivable sans un brin de douceur, sur la peau. 

Je souhaite que la vie vous soit douce, au delà de tout le reste.
Et que les bousculades ou les rafales ne proviennent que de vos courses échevelées à flanc de colline.

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J'ai mis le temps aussi
Pour parler de cette semaine. De cette semaine littéralement in-croyable. Littéralement stupéfiante. 

De cela, je me dédis un peu.
Je ne dirais pas grand chose, d'autres l'ont fait bien mieux que moi. (J'aime bien lire - pour des raisons diverses - Padre Pio,  Thomas Vinau,  Arnaud MaïsettiGinette FanfioleMélieAugustine, AlexiaTipi, par exemple... et j'ai apprécié le billet de Chouyo.)

Si j'ai des convictions, je me découvre laissée avec bien peu de certitudes. Comme si tout ce que j'en tirais était en creux. 
En crainte. 
Le refus de l'islamophobie. Le refus du sécuritarisme. Le refus des mascarades. 

La seule chose que je voudrais dire, cependant, c'est qu'il m'a semblé ces jours-ci que le maniement du langage atteignait son dernier degré de trahison, d'absurdité. 

Dans la découverte des directs fascinants où l'on écoute, scotché, la même info entourée de vie et répétée ad aeternam pendant des heures, comme si ça allait faire bouger les choses, comme s'il fallait que ça aille vite. Vite vite, des mots et des images engloutir, pour remplir le vide des questions existe-en-ciel, pour faire comme si on était autre chose qu'hébété, que bête devant le sang puis la foule. Pour abattre le silence assourdissant qui suit les grands coup de cymbale ou de poing. 
Dans les brèves d'infos qui tombent, comme les coups, sur les lieux de culture musulmane
Dans l'incrédulité quand les professionnels de la répression défilent au nom de la liberté (d'expression). 
Dans les mots du ministre qui dit que le terrorisme s'oppose aux valeurs de la révolution alors qu'il tire son nom de la Terreur. 
Dans les sirènes, celles de Notre Dame, des glas, des Marseillaises
Dans les brillantes idées de ceux qui souhaitent ré-ouvrir tout et n'importe quoi (Cayenne, le débat sur la peine de mort) et refermer autant (les frontières, les libertés)
Dans la peine quand, un mercredi soir, des hommes arrivent au rassemblement avec leurs gros raccourcis à bout de bras, un sourire fier aux lèvres. 

Alors oui, alors merde, je crois que c'est lexical, le monde. 

Qu'on a abdiqué plus qu'un pouvoir académique en acceptant de dire que les usagers sont pris en otage dans une grêve, qu'il y a eu un tsunami de réactions sur les réseaux sociaux, qu'il y a des barbares, qu'il y a des maux nécessaires, que les criminels sont des monstres, qu'untel est en première ligne alors qu'il est juste concerné, qu'on fait des frappes chirurgicales, qu'on a des bombes humanitaires. 

Par quoi ça passe, la récupération, la manipulation, l'abjection, si ce n'est par les mots à qui l'on fait dire tout et donc, n'importe quoi. Et donc, rien. . 

On les entend, partout, tout le temps ces mots vidés de leur sens. Dans les infos qu'on meuble quand on a rien à dire de nouveau, dans les infos qu'on veut rendre extraordinaires-choquantes, sur les plateaux télé qui coupent la pensée dès qu'elle se déploie sur plus d'une minute (à ce propos, vous pouvez lire le texte de Bobin, "Le Mal"), sur nos lieux de travail où l'on échange trop souvent des banalités, sur les pupitres de ceux qu'on nomme grands. 

Nos bouches et nos têtes, colonisées par ces coquilles vides. On réfléchit comment, avec ça ? On nuance comment ? On questionne comment ? 

S'ils nous piquent les mots, s'ils nous laissent sans langage, sans outil pour disséquer les cadavres dans le placard, sans code commun fiable, comment on se révolte ? et comment on se parle ? 

Ils nous ont prévenu. Les pompiers qui allument autodafés dans Fahrenheit 451, la novlangue de 1984. Ils nous ont prévenu. La réduction du langage, c'est une réduction de la pensée, de l'esprit critique. C'est retirer des armes aux mains de celui qui viendra peut-être demain juste avec ses mots, remettre en cause le bien fondé du pouvoir.

Les mots qui veulent tout et rien dire, c'est le meilleur moyen de se brouiller.
De perdre le sens de l'humour ou de la répartie. 

Alors oui, alors merde, c'est lexical, notre vision de la vie. 

Ainsi, si je vous souhaite le meilleur pour 2015, je vais me permettre aussi une requête. Vous en ferez ce que vous voulez. 

Amis, s'il vous plait, soyez attentif. Mieux, soyez attentionnés envers les mots.
Ce n'est pas parce qu'ils nous laissent les employer qu'on peut, impunément, les opprimer.