jeudi 29 décembre 2016

Anamnèses involontaires

(... ou Madeleines de Proust, si vous préférez)


En la voyant dans sa cuisine, me vient le goût des mercredi et samedi après-midi, de nos histoires d'enfants, de pré-, d'ado, d'étudiantes, de jeune adulte. Je revois le canapé jaune de sa chambre et la chauffeuse orange de la mienne, la mezzanine dans sa cabane, et le tissu coloré qui recouvrait la banquette dans la mienne (merci, pères). Je pense aux bols de céréales pour le goûter, aux 6 ou 7 parfums de glace qu'il y avait toujours dans son congel' et aux parties d'Indix ou de Mystères de Pékin. Des heures à bricoler, à parler au dessus du goûter (merci mères). Je me rappelle les dessins qu'elle coloriait avec beaucoup de soin et les heures à nager. Nos silhouettes un peu impressionnées, premier train seules vers Paris. Chacun des endroits où elle a habité depuis défile, une seconde. C'est bien de savoir où elle vit.

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Dans la nuit au dessus de la ville, Kusturica, accompagné par le no-Smoking orchestra, chante "Bubamara". Les copines du lycées me tendent un paquet. La pochette de Chat Noir chat blanc en sort. On pleure de rire devant. On a des chaussettes à rayures. La vie n'est pas plus simple alors, mais on trouve quand même des bribes de ce que l'on est entre Kusturica et nos chaussettes colorées.

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Dans la nuit, au dessus de la ville, Kusturica, accompagné par le no-Smoking orchestra, entame "Was Romeo really a jerk". J'avais oublié la playlixe. Ca fait tout drôle, un souvenir qu'on n'avait pas vu revenir. Ca hésite entre le sourire et l'amer. Ça ne tremble pas.

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Je reçois le message de C. qui m'invite à son anniversaire. Il y a sept ans, en sortant du Market Bar, on décidait qu'après nos "charrettes" respectives mais avant Noël, on partirait se geler à Belfast. On avait des coupes de cheveux douteuses, et on ne se connaissait pas des masses. Tout ce temps que ça prend, s'apprendre.

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En entrant dans la salle de concert, il fait froid. Tout le monde a gardé son manteau. Sur les murs, des fresques à la bombe. Des gens debout, une bière à la main. J'ai cette impression de respirer un peu mieux, de rentrer à la maison après avoir prétendu être une adulte trop longtemps. Les basses me remontent tout le corps, à contre courant. Battre fort, et vite, et loin. Sur un terrain de motocross, dans une salle sans siège, dans un hangar. Rester debout, avec la musique. Battre fort, et vite, et loin.

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On attend un bus, il fait nuit, il fait froid. C'est l'hiver. On va attendre dans le pub au bord de la route tout en se demandant pourquoi ce n'est pas ce que nous avons fait au lieu de passer des heures dans la gare de bus de Galway.

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En reprenant la voiture, après les jours de fêtes, j'arrive au stop, au bord de la dépatementale.  Je revois la nuit bleu, quelques années plus tôt, la pluie qui toque au pare-brise au moment où mes pleurs débordent. L'année des larmes. Il fallait repartir vers le froid, la fatigue, la très grande solitude. Il y avait cette sensation de tomber, encore et encore, toujours sur le même genou. Alors, s'il n'est jamais tout à fait simple de repartir après Noël, quelque chose frétille, se réjouit. Je sais qu'on m'attend, là-bas et que malgré les désagréments du quotidien, c'est chez moi que je rentre.