lundi 19 novembre 2012

L'humanisme ?

Voilà qu'en relisant quelques documents sur l'Humanisme pour mes cours de Première, j'ai sautillé sur la correspondance entre Rabelais et Erasme. Et puis j'ai pensé à "L'Auberge Espagnole" et aux visions d'Erasme (et à un gite dans le Beaujolais, mais c'est une autre histoire), je me suis demandée s'il y avait un extrait à relier à l'humanisme. Pour essayer de redonner un peu de fluidité à ce cours à l'éléctro-encéphalogramme trop plat ou trop accidenté. J'ai re-regardé dans le désordre des extraits du film. Et il m'a fallu au moins un quart d'heure pour réaliser que je courais moins après le seizième siècle qu'après une clôture pour ce beau week-end. Pourtant, rien n'est identique à Erasmus, ni nos voix, ni nos liens, ni les rues traversées.
Mais leurs récits, et leurs vies, leurs aventures plus ou moins lointaines - leurs silences parfois aussi - me parlent de quêtes miniatures comme gargantuesques, de désirs, d'ailleurs, d'aller vers, de quitter, de retrouver.

"Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective, des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard, on aura habité cette ville. On aura marché dans ses rues, 
on aura été au bout des perspectives, on aura connu ses bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu dans cette ville, cette rue on l’aura prise dix, vingt, mille fois… "

Je pense à C. et aux citations sur notre mur. Sur son mur à présent plus loin du mien. Je pense à A., car je suis en retard, de sourire en me disant qu'apprendre à découvrir les lieux m'a appris à découvrir les gens. Et inversement. 

Aucun de nous trois ne demandera jamais "alors, cette année, c'était comment ?". On sait qu'il n'y a pas de réponses. Qu'il faudra dérouler les fils et les mots autrement, dans des questions ponctuelles, dans des verres, dans des photos. 

Nous ne sommes plus étudiants, plus vraiment. Le monde professionnel  par les stages, par les boulots, par l'acquisition d'indépendance, fut-elle ponctuelle, est passé par là, irrémédiablement. Et avec lui son vocabulaire, ses savoirs, ses blessures, ses questions, ses assurances, ses tracas, ses responsabilités. Pourtant, quand  Xavier demande vers une terrasse "Erasmus ?" mon ventre se retourne. Et je suis sûre qu'il en serait de même pour le leur. Il y a ce mot de passe, partagé par des milliers d'étudiants, et puis il y a la connivence d'avoir inventé notre propre définition du terme. Bien au delà des mots et des dictionnaires.

Je ne suis pas nostalgique. Je ne regrette pas cette époque. Elle reste, comme une cicatrice, bien implantée, qui transforme le corps durablement. Au delà des images d’Épinal  l'honnêteté de se rappeler des joies intenses comme des douleurs poignantes. De se l'avouer, longtemps après. 

Il me vient alors cette idée saugrenue : l'entrée dans mon métier me parait comme un reflet inversé, comme un pendant d'Erasmus. Car si la difficulté a présidé à la première année, les moments de grâce ont cette senteur musquée et insubmersible. C'est aussi poignant et fort que les traversées successives. C'est un dépaysement inouï, épuisant, enivrant. C'est une aventure dans laquelle je laisse quelques plumes pour porter plus simplement la peau qui subsiste, sous tout le reste. 

"Je vais faire ce que j'ai toujours voulu faire."

Et peut-être est-ce aussi ce qui me pousse à courir, un peu plus loin, sur les pages. Ce qui me rappelle à la poésie.  

"Après tout, si, c'est une histoire de décollage"




vendredi 9 novembre 2012

"Je" dangereux ?

J'ai suspendu mon geste, mais c'était trop tard. Le trait rouge était là, encré sur les carreaux, sur l'encre bleu. J'ai suspendu mon geste un instant trop tard. Stupéfiée. 
J'ai rayé un "je" dans une copie. 
Réflexe académique. Code de l'institution scolaire française. Pas de "je". De "Je pense", ni de "je crois". Réflexe de bonne élève devenue prof. La rature partait d'un de ces terrifiants "bons sentiments" : transmettre une code. 
Mais ce "je" barré, soudain c'était insupportable. La force de l'image, du symbole de ce "je" barré. Je me suis rendue triste. C'était tout ce que je ne voulais pas de mon métier comme aliénation de l'élève, comme aliénation de moi même. C'était notre négation à tous. 
Deux lettres, un trait, pour ajouter à la fatigue de ces corrections sans fin et aux interrogations qui s'ensuivent irrémédiablement. 

En accord avec la bande originale du dernier James Bond qui tournait à ce moment là "Let the sky fall when it crumbles..."

Et puis se reprendre, minuit passé, alors que ça y est, la dernière copie est corrigée. Sourire, parce que oui, deux lettres barrées, ce n'est pas négligeable. Et en même temps, je me sens tellement moins déchirée par mon métier, mes élèves me semblent eux aussi plus sereins. En vrai, même si j'ai barré un "je", je m'aperçois que je m'approche de cette fameuse "individualisation", de tous ces "je" dans le nous de la classe. 

Fatiguée, mais rassérénée  je peux aller me coucher. Il faudra continuer à veiller aux choses minuscules qui nous séparent, mais ce soir, ce n'est qu'un trait et il ne dit pas tant, finalement.