vendredi 23 août 2013

Tessons et cailloux #11 Impressions estivales

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Les traces se cachent alors que je m'installe pour la première fois depuis longtemps devant cette page blanche. Je regarde les mains bronzées sur le clavier de la maison dans la ruelle. Je regarde la cicatrice de la main gauche. J'avais des choses à poster de cet été, comme des cartes postales ou des instantanés. Mais il semble que les choses de cet été aient du mal à s'imprimer. Que ça glisse sur ma peau qui a toujours tout marqué, les piqures de moustiques et les souvenir infimes, les chutes à vélo et le souffle des jours. Que je n'arrive plus à conserver à portée de main les impressions. Un peu comme si j'étais devenue trop. Transparente ou opaque. Vide ou pleine. Je n'arrive pas à savoir si les choses serpentent à la surface ou si elles me traversent.

Pourtant je sais bien qu'il me reste des dizaines de sensations de cet été étrangement rapide. Les poèmes en arabe dans les rues de la ville, la lumière matinale sur les colonnes doriques, la douceur des images violentes des chapiteaux de pierre blanche de la basilique, le vert lumineux de la forêt déguisée en Brocéliande, les poèmes en Slovène dans le hamac, le goût de l'ouzo devant les rochers quand nos voix sont plus graves, le son du roman que nous avons lu dans la chambre et puis dans la rue, le plateau aux quatre bleus, l'hésitation balayée devant l'autostoppeuse en panique en bordure de nuit et d'autoroute, le sel sur la peau à laper goulûment, le nouveau carnet orange, le biscuit à la menthe, les clochettes dorsales, la solitude entourée et apaisée, l'équilibre à deux tranquille et amusé, l'élan, les précipices dont on s'amuse, les chèvre qui sonnent vers Kroki, les cartes inattendues. Dans les chambres nouvelles même en une nuit, le corps prend trace, comme l'oreiller sur la joue, un léger pli, une petite aspérité. Chaque fois, il faut avoir confiance pour dormir à l'inconnu, confier à d'autres son sommeil.  

Toujours cette histoire de cocon à dévider. Quand je commence à tirer sur une soie, tout le reste me vient. C'est la confiance en mes doigts pour trouver une extrémité à laquelle m'accrocher qu'il faut que je trouve.

De cet été étrangement rapide, je me rappellerai aussi les désarrois. L'impression de lutter, l'envie de fuir, les battements qui m'inquiètent, les difficultés soigneusement évitées qui viennent se ficher là où il faut, pile dans le juste coin des os. La réalité qui vient toujours surprendre et ramasser les rêves, qui bouscule et m'envoie valser contre le rugueux de la vie, réconfortant et piquant. Accepter d'être intranquille. Accepter, en général.

Et tous les jours, se mettre à cette gymnastique, essayer d'écarter les petites lâchetés. Faire l'effort de ce courage pour tous les petits gestes, envoyer un message, envoyer une requête, se présenter en ayant chaque fois l'impression d'être nue, me voici, je suis là, je suis FélixeB., FelixeBlizar, ou FélixeBleue, Félixe Bazar, Félixe Bi-zarre, heureuse en latin, ou en grec ancien même si je ne les parle pas,  je suis une fille, je suis venteuse, je suis peureuse, je suis âme-ou-pas (maisjepalpiteauboutdesdoigts), je suis presque poète. Les grands mots comme des fièvres à tempérer. 

Je parlais avec Celar puis aujourd'hui avec Mé. (elles ont le même prénom en vrai et ce n'est pas rien, ce sont au delà de leurs différences, des forces vives, des inspirations solaires) de cet été, de ces deux étés qui semblent rompre la malédiction des étés. Pour la première fois, le carnet a un titre au moment de commencer. D'habitude, je ne vois la cohérence qu'après. Cet été, je vois la cohérence. C'est l'été de cette Méditerranée qui ne m'a jamais attirée et qui se met soudain à me parler dans les poèmes en arabe et en italien, dans le chemin du bleu et du orange qui se fraye toujours une voix vers moi, pour que je n'oublie pas où je marche, c'est la pierre à tous les coins de ma vie qui me fait comme un doudou et quelque chose de tranchant pourtant pour décider les mots et les tendons à rompre de temps en temps. L'été de la poussière et du vent (Blizar, est-ce un hasard ?). Et puis si l'on change la focale, au plus large, il y a les mythes, gravés dans la peau, dans la craie, il y a la grandeur dont il ne faut pas toujours avoir peur, il y a la lumière horizontale qui éclaire les cimes et les dalles. Il y a les côtes à gravir encore, la lutte à transformer, la culpabilité à découdre, l'envie à continuer de chercher, avec les mains, sous les graviers. L'envie de continuer à chercher les constellations, les yeux tirés du sol, comme aujourd'hui à la radio, l'inventaire de Prévert, Lhassa , et la conférence sur Verlaine. 
N'avoir peur ni du grand, ni du tout petit. Etre à toutes les échelles à la fois, s'en trouver bien, s'en trouver d'autant plus là. 

Et dans ma mémoire, Pan et Baal qui se mélangent un peu, et enjoignent au présent.

"Sommer, sommer im unsere weissen Bett..."


S'il faut que tout parte de cet été, j'aimerais garder la cicatrice.