samedi 30 novembre 2013

Voix de femmes #1

{Ce soir, j'écluse des vieux brouillons, le post d'avant commencé il y a quelques jours et celui-ci quelques mois]

"Je marche - nue - les pieds - nus - les jambes - nues - sur la lagune"

Deux notes répétées au piano, qui m'épiquent tout de suite, et lorsque les cordes arrivent, tout bifurque, tissant autour de cet élan initial un peu angoissant. Très vite, une voix simple, presque distante, pour évoquer cette sensation d'absolue nudité, de vulnérabilité aussi. Et ce constat qu'au delà des grands discours, une violence, un vol, nous ramène à un essentiel. L'amour, l'argent, le vent. A l'image des notes du début, léger malaise des vérités sobres et bien peintes qu'on n'aime pas entendre. Il est assez intrigant que ce soit justement cet album là qui ait tourné dans la voiture au moment de l'accident. L'amour l'argent le vent ? Enfin, je crois.  

"... ça laisse des traces indélébiles..."

Barbara Carlotti a cette voix suave, un peu (dé)voilée, et ces notes lancinantes taillées pour les heures de route, de nuit comme de jour. Quelque chose d'organique mêlé avec un peu de divin. Oui, les voix aériennes - somme toute un "aaaaah" assez ordinaire - du début de "Ouais ouais ouais ouais", posées sur ce rythme terrien, carné, m'émeuvent terriblement. Ne pas avoir à choisir entre le rythme évident du corps accroché au sol, et l'aspiration à quelque chose de diaphane, de soyeux, de délié. Piano, percu, voix, chœur. Quoi d'autre pour la nuit ? 

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"J'ai fait des pieds des mains pour te plaire..."

Plus tard, à cause de France Inter, le roi des forêts m'a hypnotisé pendant quelques jours. Le démarrage électrique, in medias res, de la chanson comme de l'album a tourné des heures, son titre s'est gravé sur un tronc quelque part, loin, et puis je suis partie sur un coup de tête l'acheter pour le dévorer entre les arbres de mes trajets quotidiens. Dans ce court laps de temps à chanter avant de rejoindre la salle de classe terrifiante de l'année dernière, ce chant comme un chant de travailleur ou de révolutionnaire, se donner du courage, affirmer un refus qui dans le silence parait peu convaincant. Et qu'importe que les histoires diffèrent, "débarrasse-moi" ! 

" Mes paupières s'accrochent aux branches - dans la nuit suis-je à la hauteur ? [..] En clair obscur je broie du noir sur les ruines du soleil..."

Et puis, le goût particulier de certains mots qui sonnent juste, comme ce Clair Obscur dont vous comprendrez peut-être la portée. Le goût aussi de la résidence à la villa Médicis, de la croisée des mondes. Du "salon des refusées" aux palais de la "renaissance". 


"Y'a que les corbeaux qui se rappellent... y'a qu'les corbeaux..."

A l'époque où j'ai acheté L'amour l'argent le vent, j'ai aussi fini par acheter l'album de L que j'écoutais en loucedé depuis des mois sur youtube. Cet album, plus franchement nocturne, accompagne comme un gant de velours les grandes émotions du soir, les tristesses et les désirs, les élégances et les élans. Les textes sont parfois à mille lieux de mes mondes, mais tous sont travaillés à la lame. Impossible de finir les vers à l'avance, et c'est bon signe en général. Quelque chose par contre, pardonnez ce jeu de mot facile, donne envie de finir des verres, les cils humides, luisants comme les trottoirs des nuits de pluie. Et puis, les corbeaux, ceux qui viennent souvent me saluer au bord des routes, ceux qui hantent mes yeux de lectrice et mes doigts d'écrivante depuis longtemps. Comment résister à un album qui commence par cet aveu "Mes lèvres sont mortes d'ivresse embrasées dans un tourbillon..."

"Puis tes yeux surtout, leur drôle de lueur, ma petite, ma douceur je me souviens de tout"

En écoutant "Petite", je souris en pensant aux questions cette année dans les yeux des gens. Avec cette histoire de mariage pour tous-tes, avec les manifs, on sent que l'interrogation est plus présente. Certains demandent franchement, d'autres détournent un peu, "tu rentres avec une copine ?", "tu étais avec qui à la manifestation ?", d'autres prennent des précautions rhétoriques nouvelles et se demandent d'où je parle quand je parle de lutte contre l'homophobie. Parfois je réponds, parfois pas. Souvent pas. Souvent je laisse les questions se poser parce qu'au fond la réponse à cette question n'importe pas.Souvent je fais comme si je ne comprenais pas (toujours cette facilité, faire l'imbécile pour fuir tranquille), parce que tant qu'ils s'interrogent et pèsent tous les petits éléments qu'ils ont pu saisir de moi au vol, ils ne se posent pas d'autres questions. Oui, c'est de la prestidigitation. 

Et je souris intérieurement, en voyant les comptes qui se font dans leur tête "bague au pouce + chaussures rouges - robes de soirée - maquillage + gay pride - amoureux d'enfance/adolescence - décolletés + manifs pro mariage gay - admiration James Thiérrée + vie sentimentale peu étalée au grand jour - bague à l'annulaire + féminisme - boucles d'oeilles - chaussure à talons + ... = ? Comme si on pouvait se contenter de compter les points. Tous ces calculs de l'apothicairerie des rapports genrés et des stéréotypes sexués font quand même doucement gondoler mes sarcasmes muets. Oui, je souris, ce n'est pas du jeu. Je sais que je perds des prétendant(e)s potentiel(le)s à ne pas m'afficher d'une couleur à grand renfort d'effets sonores, mais si le désir s'arrête à cette toute petite interrogation, il ne m'intéresse pas. Le fait même au fond qu'on puisse s'attarder à cette interrogation là plutôt qu'aux milles autres plus essentielles me laisse sans voix. 

"Pin-up de Pigalle aux allures de Madone... contrebande de Chanel, perle, poudre, Coco, gangster, demoiselle"

2 commentaires:

Madame Alfred a dit…

ça m'est de plus en plus étrange de lire vos mots , comme des doubles de moi - alors, qu'assurément , vous n'êtes pas moi ! mais des points communs . En ce moment je réécoute de nouveau en boucle Carlotti, Diterzi, mais aussi le Clair de JP Nataf , une voix d'homme claire et évanescente.

Félixe Blizar a dit…

(En lisant votre commentaire, j'écoutais "Seul alone" de JP Nataf (un artiste que je n'ai vraiment écouté que cette semaine, à cause d'une playlist proposée par Deezer, le hasard...) J'espère que ça vous fera sourire autant que moi ! Merci en tout cas pour les mots.