samedi 9 novembre 2013

Post errance

La voix voilée comme une roue de vélo qui s'est pris un trottoir. 


C'est dimanche soir, le pas est vif. Pas de manteau sur les épaules. Oublié dans le train. Un îlot de plus qui s'échouera quelque part, dans un grand carton. Une mue, peut-être, abandonnée sur le sol. Ces derniers temps, l'impression de se départir souvent des écailles, et des griffes, et des pelisses, et des pelages, sans voir encore la peau, celle qui ne serait pas morte et gommée par le moindre savon noir, par la moindre averse. 
Sur les oreilles, il y a le gros casque, celui qui fait revivre la vitre  derrière laquelle le monde peut se planter pendant une pause café. La vitre et son écriteau "pas disponible pour le moment", son post-it "En vacance". La vitre qui permet de faire passer la lumière, d'aiguiser le regard. Qui fait battre la ville et l'éloigne. 
Dans le pas vif, il y a toute l'énergie des derniers jours, il y a les centaines de kilomètres parcourus trop vite et la légère tristesse qui teinte les gares de retour. La fierté d'arriver seule, le léger tremblement (d'arriver seule). Un fil tire le corps, qui glisse le long des lampadaires, pour aller éventrer le sac au milieu du parquet. Repousser la lessive, laisser les vêtements nager sur le plancher et se croire de passage, encore un peu. 

La voix éraillée comme la peinture des lieux habités. 


On pourrait superposer les couches de substantifs exprimant l'émotion, on pourrait aligner des adjectifs, mais tous enfantent une fatigue vacillante. Ça prend du temps, à digérer, les journées en dehors du quotidien. Pourtant, dans le lit, au moment où la colonne se repose, tout s'enfonce ensemble. Tout se glisse entre le corps et la couverture, pour protéger cette brêve nuit de retour à la vie de tous les jours. Comme un mobile lumineux, "Life on Mars" tourne doucement dans la tête, et twinkle, twinkle, avec les résidus d'anglais qui collent aux jambes. Il y a des traces d'euphorie, dans le sac qui a passé la nuit couché au milieu du salon, dans le léger mal de tête et dans l'étrangéité du silence. Les jours d'avant se rappellent plus clairement

Au matin, la voix est édentée comme aux lendemains d'alcool. 

La ville traversée de nuit au petit matin, dans ce froid qui encourage le sang, qui fait rougir les joues, qui pourrait faire croire que je vais retrouver un amoureux. Ce n'est pas un amoureux, ce matin, mais tout de même il y a des "quelqu'un"  qui attendent quelque part. Ces quelqu'un avec qui d'une manière ou d'une autre, il y a de l'a., de là, de l'am., de l'âme. Pas des demis d'amis, des mies, des zâmamies. Un bus s'arrête en face. Comme il fait encore nuit, le mot "Gares" luit vivement. Mais il y a plus tentant que ce confort de seconde zone. Il y a "Geronimo" dans le froid, et la vitre pour regarder le bleu. 

Le premier train pousse sur la voie, avec ses rhizomes de lumière qui s'étendent sous les globes et les nerfs. Et puis le deuxième train envague une première retrouvaille. Ramène sans cesse des conversations incroyables sur l'achat d'immeubles en territoire sud, et de réglementations énergétiques des constructions. C'est le début de l'exotisme. Sur la tablette en plastique, une brique de jus de fruit, et un beignet emballé. Il a tout prévu. L'exotisme immobilier et la régression, décidément la journée qui cligne des yeux au bord de la vitre s'annonce voyageuse. Arrivés à la gare, cette gare du nord qui se présente comme un midi, il faut chercher dans les couloirs les visages connus. Les bras connus. Le monde s'accélère encore un peu, quand les paires d'épaules, et nos quatre voix s'emmêlent. Le retrouvailleur monte à trois. Il en reste trois encore, un peu éparpillés. Celle que l'on retrouve dans l'appartement en haut de la pente douce, sur le parquet qui donne vers le jardin, un cours fini, un sourire aussi. En filigrane, il y a celui dont c'est l'appartement. On découvre son décor sans sa silhouette encapuchée. Il viendra ce soir au café de la gare. Et puis il y a celle encore quelque part dans cet immense bond initié au Japon. La perspective de la voir après plus de quatre ans est folle, à chaque fois qu'elle surgit dans les conversations. Elle arrivera, elle aussi, au café de la gare. C'est facile de retrouver une manière de fonctionner, de cuisiner, de sortir les assiettes, de s'installer à table comme quand on mangeait presqu'une fois par semaine ensemble. Pourtant, voilà plus de quatre ans qu'on n'a pas été dans le même pays en même temps. 

La voix brisée comme aux feux de juillet

La chronologie n'aurait ici aucun sens. Le récit non plus. On a fait ce qu'on sait faire de mieux. Errer dans la ville en regardant les quartiers changer, marcher de jour de nuit . Parler longtemps, se raconter des bêtises et des hantises, avoir les yeux luisant de blagues douteuses, d'alcool, de confidence. Faire une fondue, quelque soit le vin prévu, des petits déjeuners fous, des sauces de légumes, des gaufres de minuit. Vider la réserve de chocolat, et gouter aux cocktails sur mesure de T. Ces cocktails qui disent tous quelque chose de nous, la bitter-sweet symphony d'A., le sucré et le fruité et les couleurs pour eux, le crémeux pour L et la charteuse, les alcools transparents qu'elle explique à T. pour ce verre vert absolument parfait.

John-et-plutoer, encore, sur les mêmes sujets, même si la pensée tournoie : il faudrait vraiment apprendre à s'arrêter de parler autant. Se poser des questions à voix haute. Entendre les réponses même sans être capable de remercier. Boire du vin, de la bière, de la vodka trop diluée, du gin, du café, du thé. Chanter, oh, chanter, de tout, à n'importe quelle heure, pourvu que ça fasse choeur. N'avoir pas peur des voix qui tremblent et qui se perdent, des maladresses.  Ecouter le piano, se faire entendre des morceaux. Se raconter des bouts de vie, et d'avenir aussi. Se taire affalés sur le canapé. Regarder dans la même direction, des vidéos diverses, la pluie qui tombe à verse. Prendre le train. Prendre des photos. Des débiles, et d'autres plus fragiles. Se coucher bien trop tard. Petit à petit se dire au revoir. 

La voix grisée comme aux soirs de l'été. 


Alors oui, dans le train il y a les copies à corriger, dans le groupe il y a la vitre qui revient, la crainte de prendre trop d'espace dans la parole et dans la place, de perdre cette évidence là quand tous marcheront par deux. Il y a les peurs, les doutes, la communication qui se barre un instant. Il y a des entailles, heureusement. 
Oui, c'est peut-être le plus fou. Heureusement, vraiment, ces encoches sur les jours, cette rouille dans la voix. Cette voix avec laquelle il faut parler aux élèves, et qui amène tout ce beau monde dans la classe pour aider à lancer la semaine tunnel. Ce n'est pas un idéal, nous sommes là, à nouveau, ensemble, nous le vivons.

Il faut bien cette légère imperfection pour se rappeler que les instants plus ternes sont de petites exceptions qui confirment la règle : 

Erasmus is great

... even years later...
...and the statement is beyond the truth. 



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