jeudi 10 avril 2014

Tessons et cailloux #13 - Plongeons

Depuis que les jours ont cessé de s'écosser, et qu'il a fallu revenir aux armures de tous les jours, aux sourires et aux jeux de la voix, aux calmes forcenés et aux gestes retenus, le printemps est venu, déjà, prématuré, poser ses mains de coton sur les bras.

Il y a eu, bien sur quelques tessons, des piques fichées et sanglantes, des questions en forme de crochets métalliques, des détours de la cheville et des entorses à l'agrément intérieur. Il y a eu des plans contrariés. Une retrouvaille attendue est passé sur le quai sans s'arrêter.

Mais beaucoup, beaucoup de cailloux. A défaut du voyage, il y avait Mélie dans Marue, quand je suis rentrée du travail. Amélie, devant la porte, étrange et évident. Bière en terrasse, rencontre surprise, gloutonnerie gluten et Yogi tea à la lueur du réverbère d'en face. Au matin, on se départ, sur la même aire que la dernière fois. Elle a ses couleurs à l'eau dans le sac, son sourire sur l'épaule. Moi aussi, même si ça pince les cordes submersibles, de ne pas partir ensemble, avec Bertrand Belin et du chocolat aux graines. A la place, je profite du temps pour une visite à la grand-mère. La cheville tappe des pieds sur la peau, fatigue bien trop vite, mais c'est bien, cet imprévu là, la tarte au fromage dans la cuisine qui a vu passer des générations. Et puis, au retour, dans la cuisine, il y a les speculoos de chez Dandoy. 


Tout a l'odeur du chlore. Qu'elle est lointaine, cette sensation de nudité partielle et des doigts de pieds recroquevillés sur la faïence (qui n'en est pas). Scanner le bassin du regard en cherchant la ligne la plus vide et puis, se lancer dans le mouvement. Les muscles des bras se rappellent à mon bon souvenir "On était là, nananèèèère". Il y eut un temps où je nageais si aisément. Le crawl, sur des centaines de mètres, ne savait me fatiguer. Il faut reprendre du début. Brasser de l'eau comme on brasse de l'air, sans résultats, essayer de ne pas vouloir aller plus vite que la mécanique. Dans les petites douleurs immanquablement créées par les frictions avec le monde, l'euphorie aussi de cette rencontre à étincelles. Sur le chemin du retour, il fait beau, j'achète une tarte au citron. Et je trouve le nom du prochain recueil. 

Un soir, après les vacances, je vais dans la librairie rouge. Celle qui fait que je sens que j'habite cette ville. Je n'y ai pas de proches, mais la libraire et la dame du salon de thé me connaissent. C'est un signe qui ne trompe pas. Dans la librairie rouge, je ne connais personne, sauf la dite libraire, qui me sourit, parce que je m'origamise en petit corbeau sous l'inconnu, moi qui entre le noir aux robes et le rouge aux lèvres. Dans les mains, des pochettes, des papiers, des livres. Dans le cercle, c'est de la poésie, qui se dit, qui se lit, qui se trémousse et qui se rit. C'est de la poésie que l'on se donne, entre inconnus, de la poésie qu'on rompt et qu'on repasse, qu'on goûte et qu'on fricasse.

Le même soir, après la poésie, les rues m'emportent vers les co-pins-co-llègues qui m'attendent avec une bouteille de vin blanc. Je suis claquée et je mets du temps, toujours, toujours, à démasquer, à laisser tomber les bras et à poser les boucliers dans les poches. Mais n'empêche qu'il y a sous l'air de n'y pas toucher, des questions de prénom et de voyage à l'étranger. Avec deux nous irons, le lendemain, en promenade. Comme la piscine, j'avais oublié ce que ça faisait, d'avoir des gens juste à côté avec lesquels se balader, des gens à qui donner rendez-vous pour dans quelques heures plutôt que quelques mois. C'est dingue ce qu'on oublie, dès qu'on a passé deux trois vies, pas pareil. Deux trois lits, deux trois rues, deux trois villes. Deux trois éternités, à transitionner, d'un mois à l'autre, d'un soi à l'autre. Comme ce vent là fait les mains rêches et comme il faut frotter longtemps pour retrouver dessous les cellules mortes entassées, un semblant de peau et de sensibilité.

La poésie et le vin blanc, dans le même soir, ça ressemble sérieusement à un "ici". Et pour repiquer celui-ci, je ravale des façades, je maquille les murs, remodèle les espaces, réincarne le visage. Parfois je me rappelle que les pinceaux de maquillages qui traînent dans la salle de bain ressemblent à l'abdication de tout ce que j'ai toujours dit ou fait. Peut-être que ça l'est un peu et que je me le cache. Mais ce que je vois, quand le teint revient, que le fard s'étire jusqu'à se fondre, quand le crayon pointille et rayure, et que le mascara frôle les cheveux de mes yeux, ce que je vois, en vrai, c'est la couleur. C'est une réorganisation de ma propre carnation. Un peu plus d'unité. Un peu plus de contraste. Du bleu et du jaune juste au bout du doigt, comme quand on se cogne mais en plus vif. Et le rouge. Bon sang, ce rouge aux lèvres qui dit enfin ce que j'ai toujours senti au dedans. A mordre et à rire, outrageusement. Il ne s'agit pas de faire joli, en vrai. Il s'agit une fois de plus d'être sur la même longueur d'onde que les palettes du dedans. Il y a des jours sans rien, les boutons obstinément ouverts, les cellules à crue sur le monde. Et puis il y a des jours à souligner. 

Un collègue discret, que je croise rarement (mais qui m'intrigue beaucoup, et qui m'impressionne un peu par la finesse de ses traits comme de sa pensée) parle de la nécessité qu'il y a à ce que nous retrouvions notre voix, à ce qu'on ne devienne pas des machines à séquences, à ce qu'on n'oublie pas que la littérature est d'abord... de la littérature, et non un réservoir à procédés. Il faut qu'il y ait du sens. OuiOuiOui. Mais oui. Je me suis sentie moins seule et moins coupable dans mon regard (naïf) sur le métier.

Il y a ces heures là, toujours les mêmes, à rire de rien, de fatigue et de gourmandise. Avec ce rire nerveux qui m'agace un peu et me donne des airs de greluche.  Féliiiiixe, mais que tu es nunuche. Comme l'été où j'avais pensé "Oh, Félixe, mais... tu badines !"

Au bout du fil les derniers jours, il y a eu Celar et il y a eu S. On a parlé en pelotes de lavielamour, de poésie, de voyages, de festival, de l'été à venir et des semaines prochaines, de femmes, d'hommes, de départs et de bouleversement, de poésie l'ai-je bien dit ?, de théâtre, de routes, de maisons d'édition, de traduction, de marche, de jardins et de temps, ensemble, vraiment. 

Et puis dimanche, au niveau de l'eau, comme en vacances, j'ai pris le carnet bleu et juste au bout, dans les rayons et
le son de l'homme qui jouait de la clarinette debout dans l'herbe, un poème est arrivé. 

Depuis le pont, bien à l'abri, se surprendre à plonger. 

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