mercredi 19 décembre 2012

Corsures de ciel, morsures de miel

En route.

Phrase toute simple.
En route.

Et on entend déjà les graviers qui craquent, le vent contre les rétroviseurs, le ronronnement du ventre sous le capot. Déjà la vapeur de la locomotive, même si il n'y a plus de vapeur dans les locomotives depuis longtemps. 

En route comme en retard et comme en avant, en route, comme un participe présent. Comme "en cours de téléchargement". Et dans cet interstice, on se glisse, le ventre sur le goudron, sur les cailloux, et parfois dans la boue. 

On peut reprocher beaucoup à la voiture : en résumé elle découpe de larges trous dans les porte-monnaie et les couches d'ozone. Elle coûte trop cher à tous niveaux. Mais là où je vis, il est impossible de s'en passer. A moins de passer toute sa vie à marcher. C'est peut-être un choix que je ferai un jour, le jour où je laisserai tout derrière moi parce que j'en aurai assez, pour marcher sans fin, pour marcher des mois, pour avancer sans faim. En attendant, je roule, sans train et sans vélo, tous les jours ou presque. 

Maintenant je connais ces dizaines de pluies différentes qui nagent sous l'automne : les grosses gouttes qui s'abattent et semblent exploser, les petits grains de riz déversés par milliers. les larmes qui serpentent à l'envers comme si le sol chialait, les ruisseaux qui se forment sans discontinuer. Et je les sens autrement sur ma peau. Les gouttes qui effleurent, celles qui éclatent, celles qui glissent et celles qui mordent. Celles qui détrempent, celles qui piquent, celles qui caressent, celles qui roulent. Paradoxalement, le pare-brise m'apprend à sentir la pluie. 

Les obligations m'arrachent à mon lit avant que le soleil n'ait secoué ses paupières fatiguées et brûlantes à la surface du continent. C'est difficile pour moi, de ne plus vivre la nuit. mais je découvre tous les jours ce que c'est, vivre dans l'aube. Depuis quatre mois, je n'ai pas vu deux matins semblables. J'ai dévoré le bleu électrique, le noir embrumé, le gris, léché les nuances de rose et de violet, l'orange vif et mordoré, les corsures de ciel, les morsures de miel, les dorures posées sur la cime des arbres, les ombres étrangement lumineuses émanant des forêts, réappris à chaque fois, très naïvement, que la terre est ronde, que l'horizon appelle sans relâche  Ce sont les clochers de Martinville redécouverts sans cesse, à blanc. Cet élan qui me saisit dans les bois, dans les tournants, et me pousse à écrire, à photographier, à peindre dans ma tête à défaut de papier. 

Les prés sont inondés, quel effort pour ne pas m'arrêter, regarder. Je resterais des heures, si je m'arrêtais. C'est peut-être ce qui rend l'écriture de récits difficile, cette nature contemplative. Les prés sont inondés, et j'aimerais y passer mes journées, à patauger, les yeux pris entre la terre et le ciel. Le pare-brise m'empêche de tout laisser tomber pour aller dormir dans la boue de ces prés. 


Le beau m'appelle. J'y entre comme on frissonne sous la main et les lèvres. Je ne fais que passer, je reprends ma journée comme on repart dans le froid, en se promettant, que la prochaine fois, on restera ensemble à boire du chocolat en écoutant le son de la neige et de nos voix voilées. D'accord, peut-être pas la prochaine fois, mais celle d'après, oui, celle d'après c'est décidé, on refusera de s'arracher. On s'offrira l'amnésie entourée de rubans pour ne garder du jour que l'arbre qui vit, ostensiblement ancré dans l'aube et la journée. 

3 commentaires:

Félicia M. a dit…

Ce texte est magnifique... magnifique ! mais ce titre.. qu'est-ce que c'est que ce titre ??
(et puis vous lisez "Cent ans de solitude", cette merveille).

rosalie a dit…

J'oublie tout le temps le nom de ton blog. Je réfléchis, je réfléchis, je pense à des pierres, puis je le retrouve et c'est comme la première fois à chaque fois.
J'ai avalé les phrases comme ta citroën avale la route.

Félixe Blizar a dit…

Mafalda, merci mille-fois pour ton commentaire (commenté sur twit-taire)

Rosalie, merci de tes mots sur les posts (celui-ci et celui de là bas), malgré le silence à l'extérieur, je vous envoie souvent des p'tites pensées. Je vais me répéter, mais il me tarde de te lire à nouveau. Des bises !