jeudi 6 septembre 2012

La Rapporteuse #11 René Guy Cadou

L'étrange douceur

Comme un oiseau dans la tête
Le sang s'est mis à chanter
Des fleurs naissent
Que mon corps est enchanté

Que je suis lumière et feuille
Le dormeur des porches bleues
L'églantines que l'on cueille 
Les soirs de juin quand il pleut

Dans la chambre un ruisseau coule
Horloge aux ruisseaux d'argent
On entend le blé qui roule
Vers les meules du couchant

L'ai est plein de paille fraîche
De houblon et de sommeil
Dans le ciel un enfant pêche
Les ablettes du soleil

C'est le toit qui se soulève
Semant d'astres la maison
Je me penche sur tes lèvres
Premiers fruits de la saison. 


*


Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires

Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires 
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps


Je t'attendais et tous les quais toutes les routes 
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait 
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules 
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais


Tu ne remuais encor que par quelques paupières 
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées 
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou


Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie 
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays 
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient


Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres 
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau 
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères 
Où nous allions tous deux enlacés par les rues


Tu venais de si loin derrière ton visage 
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu'au temps de toi-même 
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.



René Guy Cadou

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