jeudi 16 juillet 2015

MayDay #2 - A part qu'il ment, le vent

(article écrit depuis un bail, auquel il manquait les photos - Village de T&J )

Mai Premier,  'Mé, jour d'anniversaire. Quatre-vingt-dix tout rond. Tous là, tu vois, sauf les absents, qui n'ont même pas tord. Qui leur en voudrait d'être parti ou d'être mort ? Il reste leurs trous dans l'eau, on fait avec, on se tient chaud, on se plaisante. Quand elle écrase une larme, une main un peu plus présente sur le bras ou l'épaule parce qu'on n'est pas loin. Et quand l'éclaircie monte, on va prendre l'air dans la campagne orageuse. On joue toujours, ensemble.


Mai, le reste du temps, je visite des appartements.

Mai, aventure pour trouver le théâtre, pour se trouver.  On passe la journée baignées dans l'espagnol, qui m'est étranger. Celar, R. et moi. J'écoute la langue qui bat ses accents, qui se déploie dans la pièce. Je ne comprends que confusément, et je dois me fier au son. Je me rends compte en écrivant qu'il s'agissait essentiellement de traductions. Et que j'ai certainement entendu plus de français que d'espagnol. Pourtant, l'impression subsiste. La sensation que Pilar Pombo et que Lorca m'ont tirée par la main. Avec délice, suivre. Apprendre à se connaître, à toutes les trois. Finir en terrasse, sous la pluie et la bière, à se faire croire qu'il fait beau.

Mai, rentrer dans la rue d'Or, qu'elle ne connaît pas encore. Pleurer en l'écoutant chanter. Rire souvent, et parler tout bas ou parler fort. Le long du quai. Tricoter une Marcelle, à quatre mains,

Mai, sur le calendrier, il y a beaucoup de noms, des thés et des dîners. Un jour de grève,souligné. Un conseil de classe, une visite d'anniversaire surprise, des apéros et des verres au soleil.


Mai, le reste du temps je visite des appartements.

Mai, dans leur maison de pierre et en haut de la tour, pour la première fois. T&J nous emmènent dans leur lieux. ils savent où la vue et où la bière. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas autant causé. C'est bien tout simplement.


Mai, dernier jour de travail avec Hélène. C'est un surnom, évidemment. Hélène est jeune, brillante, et autonome. Mais un coup de main pour préparer l'examen, cela rassure. Je suis là pour ça. Je suis émue par sa passion pour la littérature russe, son amour de l'opéra, son manque de confiance. Elle parle d'Antigone et du jeune Werther avec cette fougue qui fait écho. Elle les yeux qui brillent quand elle parle de son premier opéra, de l'émotion encore palpable et de savoir, aussi, qu'elle ne pourra pas  retourner avant des mois, peut-êtres des années. Elle s'essore un peu quand elle est surprise par le temps, et la peur. Et puis, je la rassure, comme on m'a rassurée parfois. Moi qui n'ai qu'une image de grande soeur, c'est un peu comme si, timidement, j'en rencontrerai une petite. Une petite soeur de doute et de littérature, de décalage, et d'hésitations, de poésie et de théâtre. Toutes deux pétries de pudeur, on s'enthousiasme pourtant des découvertes à venir. Ses parents sont d'une gentillesse, d'une force, et d'un dévouement qui m'impressionnent. Peut-être que c'est la fin de mon travail avec Hélène. Pour le reste, je crois que ce ne peut être qu'un début.

Mai, après quelques temps, j'ai trouvé un appartement.



samedi 30 mai 2015

MayDay 1 : La Relaxe au bénéfice du doute

May... May the day be 
Stronger
Brighter

Enfin, fin mai. 

L'année scolaire commence sérieusement à s'amenuiser. Il ne reste que quelques cours. Qu'un tas de copies. Le dernier de cette année.
Ca sent la fin, tout est "un peu"différent. Les élèves ont les yeux un peu plus clairs, accrochés aux fenêtres. Ils ont une décontraction un peu plus marquée, et un peu moins envie de travailler. Tout faire pour qu'ils ne voient pas combien moi aussi, j'aimerais être en terrasse, avec un bouquin ou des amis. Combien c'est inscrit dans le corps, la conscience que ce sera bientôt relâche. 

Les fins d'années scolaires sont un peu comme les jours à mai-saison, qui hésitent sur la corde à linge, entre débardeur et pull en laine, entre les averses et les soleils qui jouent à l'été. Il y a les rames, à sortir, pour avancer encore un peu. Les rames pour essayer d'amener tout ce petit monde à bon port. Les rames pour conserver du calme, pour remonter le cours des motivations. Un petit coup de soleil, on resterait bien assis là, au milieu de la journée, en oubliant qu'il faut aller vers le bac. Nous avons tous envie de nous dé-tendre. de nous dé-prendre. 

Et justement, ces derniers temps, je sens que les choses se dé-tendent. Se dé-mêlent. Se dé-rident. 

Ca a commencé avec les Incendies. Ceux que Mouawad a écrit. Je les ai plantés dans les mains de mes élèves de 1ère. Je n'ai rien fait d'autre que de choisir. J'ai envoyé se faire voir Marivaux, Molière, Beaumarchais et Musset. Avec une pointe de peur. Celle qui avance quand on s'apprête à partager un livre qui a été un vrai choc et qu'on réalise que peut-être, l'autre passera à travers sans avoir le souffle coupé. 

J'ai donc demandé à 68 adolescents d'amener ce livre. Ils ne l'ont pas tous faits. Et puis, on a commencé à le lire ensemble.Ils n'étaient pas franchement convaincus. Soudain une semaine plus tard, l'avalanche de moments de grâce. 
Madame, j'ai avancé le livre,  c'est cent fois mieux que Victor Hugo. Madame, est-ce que je peux continuer à lire après la page que vous avez dit ? Franchement, Madame, je me suis dit le théâtre tout ça, ça va être pénible, mais en fait non, j'ai tout lu. Madame c'est choquant, quand même, mais c'est bien. Madame, vous savez, j'ai bien aimé (ah oui ?) Oui, du coup, je l'ai lu en entier - Combien il coûte son autre livre dont vous nous avez lu un extrait ? (Je peux le prêter) C'est vrai ? Je peux vous l'emprunter ? 
Des interventions en cours, des mots glissés en sortant à la pause, des confidences de fin d'heure. Des pétillements et des fiertés. Des élèves studieux, des petits-lecteurs, des timides et des décomplexés.
J'ai essayé de ne pas avoir l'air surpris, d'être cette prof qui trouve évident que le livre proposé va plaire. Je n'ai pas vraiment réussi. 
Un peu plus tard. On fait une analyse de texte en partant de leurs remarques à l'oral. Et très vite, l'essentiel est dit. La majeure partie des élèves a participé. Je les félicite. 
Ouai, vous avez vu, on l'a vraiment compris ce texte !.

La fierté. 
La leur. Un peu la mienne sans pourtant que j'y sois pour grand chose. 

Dans le même temps, un poète est venu au lycée. J'ai eu du mal à motiver les élèves. beaucoup ne sont pas venus. Pourtant, après leur avoir lu quelques poèmes, il y a des réactions sincèrement étonnées. 
Mais en fait, des fois, la poésie c'est compréhensible. Il rend vraiment bien la montée de la violence, ça a un rythme et tout. ca pourrait presque être un rap. Ou un rock. C'est trop bien dit. 

Et puis, pour finir l'année, je leur demande de lire L'Adversaire de Carrère. Je le présente en disant deux mots de l'affaire Romand et en lisant le début. Un nouveau petit choc. J'en entends un qui chuchote.
Vas-y, je l'achète ce soir ! J'ai envie de savoir !
On a commencé l'analyse de cette oeuvre là. Ce n'est pas évident. Beaucoup sont apathiques. Ou ailleurs. Dans leur jardin. Avec leur copine. Ou dans leur futur établissement après réorientation. Certains sont déjà partis. 

Pourtant, une question survient parfois. Pas une de ces questions qui visent à détourner le cours de son lit; Non. Une vraie interrogation. Posée pendant l'analyse, ou à la fin du cours. 
Madame, je n'ai pas compris le mot qu'il a laissé dans sa voiture. Et le titre, l'adversaire, c'est qui en fait ? Je crois que c'est lui-même mais je suis pas sur..

Bon. Laissons les bulles éclater, en silence, dans un sourire un peu trop large et revenons au quotidien, à la rame plus qu'à la voile. 

J'ai donc passé l'année à mettre des bouquins dans les mains des élèves. Ces 68 là et d'autres. Ne nous leurrons pas, ils y en a plusieurs qui ne les ont pas lus. Pas en entier. Pas du tout. Ne nous mentons pas, beaucoup se sont ennuyés pendant la majeure partie des heures de cours. Parce que c'est fastidieux, de s'astreindre à décortiquer les choses. De se poser mille questions sur le langage, le monde, ses représentations. Parce que les épreuves du bac n'ont pas beaucoup d'autre sens que celles d'épreuves d'examens. Parce que, franchement, l'épreuve de l'EAF pour les séries tech est souvent à côté de la plaque, absurde. Qu'on y massacre joyeusement la littérature. Et que finalement, sous couvert d'exigence, on en est réduit à ne plus savoir qu'exiger. 

Pourtant, au milieu de l'absurde, de l'ennui, de la flemme, de la difficulté, des salles étouffantes, il y a eu des moments, je crois, où la littérature a eu du sens. Vraiment. Où quelque chose est passé. Où quelque chose s'est passé. Pas forcément ces choses grandioses qui changent la vie et le monde qu'on voit dans les films-de-profs-extraordinaires qui me filent des complexes. Non. 
Des étincelles. 
Des dialogues sur les mots et le monde. Sur ce qu'on dit quand on parle de "fille facile" (j'ai eu envie de les envoyer lire ce post mais je n'ai pas pu, par contre vous pouvez y aller). Sur la manière dont Cyrano courtise Roxane pour Christian. Sur ce que ça peut vouloir dire, poétique. Sur la famille. Sur la folie. Sur le droit de s'inventer un futur sans se laisser happer pas les passés merdiques. Sur les raisons pour lesquelles on écrit. 

Hier, on a fait un corrigé de commentaire. Essentiellement à l'oral, en collectif. Vendredi, 17h-18h, français. Ca pourrait être l'enfer. Je les laisse plaisanter et on revient au texte. Toujours. Toujours on revient au texte. Et à la fin, même si c'était loin d'être parfait, je crois que le texte comme la méthode sont un peu plus clairs. Cet élève qui a longtemps lutté avec une phobie scolaire s'arrête à mon bureau en partant. 

Vous savez, j'ai vraiment compris le texte. C'était une atmosphère cool, et tout, mais j'ai bien mieux compris que si on avait fait les choses autrement. 


En partant, à pieds, sous le soleil de fin de journée, j'ai laissé infuser. J'ai pensé à ma première classe de 1ère techno, au désastre, à la douleur, à la solitude de cette année là. Je me suis marrée toute seule, le casque vissé sur les oreilles, avec l'envie de sautill-danser. 

Madame vous en écrivez, vous, de la poésie ? 

Sourire

Relaxe. 
Comme si on m'avait enfin relaxée à la fin d'un très long procès pour incompétence qui a duré le temps de mes premières années d'enseignement. Comme une respiration, dans le réconfort de savoir qu'on a fait son boulot. Pas parfaitement, pas merveilleusement. Juste qu'on a fait son boulot.



lundi 13 avril 2015

A vriller les rayons du soleil

A un moment vient le dégel. 


Il y a eu la fin de l'hiver. Avec sa grisaille, sa froideur, ses cernes aux jours et aux yeux, assombris pareils, les journées tunnels et les vacances passées intégralement à travailler ou à errer comme une âme en panne, dans l'appartement éclairé par l'écran. L'énergie caille à la frontière des membres et l'envie cale dès que personne ne regarde. Le printemps arrive sans un bruit, je ne le vois pas, j'ai pas le temps. 

En même temps, il y a eu beaucoup de perce-neige. Des lumières horizontales qui font les cheveux roux et un peu battre les paupières.

Il y a Clo, les visites d'une ville à l'autre, les verres de vin blanc, ses cigarettes sous le soleil et la nuit, notre discussion qui ne discontinue pas. Clo, nos peines, nos joies, des pâtes au saumon, ses filles, des livres qui traînent et s'échangent, des nouvelles qui se lisent à haute-voix et la certitude qu'on réussira à les finir un jour, ces recueils.


Dans le ville de Clo, il y a Celar et Lo., les très chers. On se croise, soulagés de se trouver dans une manifestation où on traîne les pieds, et où on se tient chaud après avoir longtemps hésité. Ensemble, tout va mieux. On se croise, à l'improviste, dans un salon de thé, des copies étalées sur la table en faïence tournesol, et un sourire plus large sur des lèvres rouge brique. C'est le printemps avant l'heure de s'accorder un mercredi après-midi de répit. On se croise, hébétées, dans notre ancien lycée. Dix ans après le premier, dix ans après les départs, Celar revient chanter. Du flamenco. Arriver à l'entracte, encore ivre de kilomètres. Ne pas savoir comment être dans ce lieu tellement familier et lointain. Une éternité ou deux. Ca parait petit. Ca parait révolu. Comment est-ce que ça peut être autant pareil ? Comment ça peut n'avoir pas plus changé ? Penser brièvement à tous ceux qui ont été là, habillés de rouge et noir, pas vus depuis des années. Tant de tendresse et tant d'écart. Retrouver Celar et cette sensation, dans l'abrazo, qu'ensemble tout va mieux. Pouvoir être présente, pleinement, sans être perdue. Et puis, la mère de Celar, et puis Lo., c'est juste, enfin, juste d'être de retour là.


Quand Celar chante le flamenco, ça donne terriblement envie de vivre.
J'aimerais bien  le dire mieux, avec une formule maline, originale. Mais il faut juste l'entendre, et voir tout son corps qui se tend, regarder le chant monter depuis son ventre, l'habiter toute entière, animer ses bras, ses doigts, et sa gorge qui vibre.
Oui, quand Celar chante le flamenco, ça donne terriblement envie de vivre, encore.




Un autre jour, nous sommes cinq dans la voiture, après avoir lutté contre des pages indéchiffrables pendant deux semaines. J'ai les yeux qui tirent, mais je conduis, de nuit. Toujours cette sensation d'amener les gens à bon port, de veiller sur eux dans l'obscurité quand la route s'enfonce dans les heures plus tardives. On s'offre une parenthèse, entre les vignobles, à déguster du vin, des plats, des moments de légèreté. Il y a des moments où j'ai du mal à être là, à être agréable, pour mille raisons, pour aucune. Mais le soleil nous fait des ombres plus petites - le long du canal, des chouquettes à la main, et de grandes eaux pour tout laver.


Une fois, encore, il y a dans la boite, les mots de M.e N.o  et... et... 
J'en suis coite, d'émotion. Un retour sur le premier recueil qui encourage, et qui conseille, de manière si juste, si constructive. J'admire sa capacité à n'être, dans ses retours, ni trop directive ni trop évasive. Cet oeil aiguisé et bienveillant. Ca fait comme le vent dans le dos, ça donne envie de danser et ça allège les heures à suer pour biffer deux mots. 


Et puis, les picotements de la vie, quand je retrouve J. pas vue depuis un an, et qu'on prend le temps de vivre tranquilles, quand je passe dans le nouvel appart de C&A et qu'on goûte en plein dimanche, comme si on habitait à côté, quand on profite des premiers rayons, en plein vent, pour un café avec Em., quand il y a de l'espace avec la grand-mère pour dire des bêtises et jouer au Scrabble, quand on retrouve toute la famille, en même temps, pour une fois, et que ça ne pèse pas. quand Mélie fait un stop dans la rue d'Or, et que c'est simple, et que c'est doux, de parler comme ça, dans le soir, ou devant un petit-déjeuner. Quand il y a les routes seules, au soleil, à travers les champs et les vignes, avec des envolées d'estomac et les sourires les plus sincères. 



Au fond de tout ça, toujours des loups, des corbeaux, des hérissons. Se demander parfois si je serai un jour domestique. "Certainement pas", répond une grosse voix. Certainement pas. Mais apprivoisée ? Je crois que ça viendra, parfois, ponctuellement. J'apprends à m'approcher un peu plus, sans peur et sans autre bouclier que le rire maladroit et croassant qui m'échappe souvent. 


Au fond de tout ça, des gens et des choses qui vous prennent par la main dans leur élan  , et l'envie de continuer à tordre des fils sur les doigts, à faire de la couture - parce que ce n'est que ça, la vie, les gens, les mots, "c'est que de la couture" -  Célar, Mélie, C&A, Clo. Mais aussi les livres de Philippe Malone, Mariette Navarro, Gherasim Luca, Claude Vercey, Wajdi Mouawad, ces derniers temps.  La musique qui donne envie de faire éclater la voix. Ces jours, en particulier, les chansons de Klô Pelgag qui m'étonne et m'entraîne aussi intensément que Buridane à une certaine époque. J'espère trouver la même vitalité, la même ampleur.



Sinon, et ce n'est sans doute pas sans rapport, je crois que je n'ai jamais autant aimé mon travail. Mais je vous raconterai ça plus tard. 




Maintenant, c'est le printemps, pour moi aussi. Je chante à tue-tête, j'écris, à nouveau, encore, après les macérations, l'hibernation. A nouveau, encore, de la peau à la place de la pelisse et des sourires de corbeau. 

A nouveau, encore, Encore, beau ! 



jeudi 15 janvier 2015

J'en vis et, j'envoie...

Janvier.
J'ai mis le temps pour
Arriver. 


Pour venir ici
Vous présenter mes voeux
Je réfléchissais à ce que je voulais souhaiter aux gens cette année. Dans le train qui me ramenait de chez la très belle Verte. Dans la voiture qui me ramenait de la maison familiale. Baignée de ces visages tendres. En écoutant la Cantate pour Louise Michel de Michèle Bernard et en chantonnant "le vent qui court à travers la montagne me rendra fou".  Et aussi dans le fracs de cette semaine. 
Je crois avoir mis le doigt dessus, sans l'écraser. 

Je vous souhaite de la douceur. 

J'ai beau aimer de la vie ce qu'il y a de rugueux, de frictions, de brûlures, tout cela serait invivable sans un brin de douceur, sur la peau. 

Je souhaite que la vie vous soit douce, au delà de tout le reste.
Et que les bousculades ou les rafales ne proviennent que de vos courses échevelées à flanc de colline.

-


J'ai mis le temps aussi
Pour parler de cette semaine. De cette semaine littéralement in-croyable. Littéralement stupéfiante. 

De cela, je me dédis un peu.
Je ne dirais pas grand chose, d'autres l'ont fait bien mieux que moi. (J'aime bien lire - pour des raisons diverses - Padre Pio,  Thomas Vinau,  Arnaud MaïsettiGinette FanfioleMélieAugustine, AlexiaTipi, par exemple... et j'ai apprécié le billet de Chouyo.)

Si j'ai des convictions, je me découvre laissée avec bien peu de certitudes. Comme si tout ce que j'en tirais était en creux. 
En crainte. 
Le refus de l'islamophobie. Le refus du sécuritarisme. Le refus des mascarades. 

La seule chose que je voudrais dire, cependant, c'est qu'il m'a semblé ces jours-ci que le maniement du langage atteignait son dernier degré de trahison, d'absurdité. 

Dans la découverte des directs fascinants où l'on écoute, scotché, la même info entourée de vie et répétée ad aeternam pendant des heures, comme si ça allait faire bouger les choses, comme s'il fallait que ça aille vite. Vite vite, des mots et des images engloutir, pour remplir le vide des questions existe-en-ciel, pour faire comme si on était autre chose qu'hébété, que bête devant le sang puis la foule. Pour abattre le silence assourdissant qui suit les grands coup de cymbale ou de poing. 
Dans les brèves d'infos qui tombent, comme les coups, sur les lieux de culture musulmane
Dans l'incrédulité quand les professionnels de la répression défilent au nom de la liberté (d'expression). 
Dans les mots du ministre qui dit que le terrorisme s'oppose aux valeurs de la révolution alors qu'il tire son nom de la Terreur. 
Dans les sirènes, celles de Notre Dame, des glas, des Marseillaises
Dans les brillantes idées de ceux qui souhaitent ré-ouvrir tout et n'importe quoi (Cayenne, le débat sur la peine de mort) et refermer autant (les frontières, les libertés)
Dans la peine quand, un mercredi soir, des hommes arrivent au rassemblement avec leurs gros raccourcis à bout de bras, un sourire fier aux lèvres. 

Alors oui, alors merde, je crois que c'est lexical, le monde. 

Qu'on a abdiqué plus qu'un pouvoir académique en acceptant de dire que les usagers sont pris en otage dans une grêve, qu'il y a eu un tsunami de réactions sur les réseaux sociaux, qu'il y a des barbares, qu'il y a des maux nécessaires, que les criminels sont des monstres, qu'untel est en première ligne alors qu'il est juste concerné, qu'on fait des frappes chirurgicales, qu'on a des bombes humanitaires. 

Par quoi ça passe, la récupération, la manipulation, l'abjection, si ce n'est par les mots à qui l'on fait dire tout et donc, n'importe quoi. Et donc, rien. . 

On les entend, partout, tout le temps ces mots vidés de leur sens. Dans les infos qu'on meuble quand on a rien à dire de nouveau, dans les infos qu'on veut rendre extraordinaires-choquantes, sur les plateaux télé qui coupent la pensée dès qu'elle se déploie sur plus d'une minute (à ce propos, vous pouvez lire le texte de Bobin, "Le Mal"), sur nos lieux de travail où l'on échange trop souvent des banalités, sur les pupitres de ceux qu'on nomme grands. 

Nos bouches et nos têtes, colonisées par ces coquilles vides. On réfléchit comment, avec ça ? On nuance comment ? On questionne comment ? 

S'ils nous piquent les mots, s'ils nous laissent sans langage, sans outil pour disséquer les cadavres dans le placard, sans code commun fiable, comment on se révolte ? et comment on se parle ? 

Ils nous ont prévenu. Les pompiers qui allument autodafés dans Fahrenheit 451, la novlangue de 1984. Ils nous ont prévenu. La réduction du langage, c'est une réduction de la pensée, de l'esprit critique. C'est retirer des armes aux mains de celui qui viendra peut-être demain juste avec ses mots, remettre en cause le bien fondé du pouvoir.

Les mots qui veulent tout et rien dire, c'est le meilleur moyen de se brouiller.
De perdre le sens de l'humour ou de la répartie. 

Alors oui, alors merde, c'est lexical, notre vision de la vie. 

Ainsi, si je vous souhaite le meilleur pour 2015, je vais me permettre aussi une requête. Vous en ferez ce que vous voulez. 

Amis, s'il vous plait, soyez attentif. Mieux, soyez attentionnés envers les mots.
Ce n'est pas parce qu'ils nous laissent les employer qu'on peut, impunément, les opprimer.



samedi 13 décembre 2014

Nocturnes en décembre médian

C'était la nuit.

Il y avait du rock dans les oreilles. Immense, devant les lampadaires, sur la route déserte. Petite dans cette ville familière. Les mains au fond des poches du blouson bleu et le goût du Savagnin encore au bord des lèvres.

Quelque chose battait. Peut-être les cils. Peut-être les pas qui résonnaient sur les façades. Peut-être les rires francs et massifs qui avaient éclatés autour de la table. Peut-être la perspective de cette avenue, des autres derrières, à présent empruntées vers d'autres. Peut-être une joie, d'arriver là, dans le festin de décembre qui se re-joue tous les soirs, jusqu'à ce médianoche. D'arriver, dans cette semaine qui s'ouvre sur une vie enfin un peu établie. Une ville-établi sur laquelle il y a des trucs qui se construisent, tranquillement.

Quelque chose battait. Peut-être l'envie de la suite.

Et dans la nuit, zébrée des repas à rire indéfiniment, de thé à parler de Trakl avec une américaine, de ventres en l'air dans des salles de spectacle, de plexus au soleil, sur le sol-air(e) de la salle de yoga, dans cette nuit de décembre, ne pas avoir la trouille, pour une fois.

C'étais la nuit. J'étais chez moi.

*Edit : "C'étais la nuit" est-ce à dire "J'étais la nuit" ? Ou "c'était la nuit" ? Je ne sais.

Stuck at home by The noise grinders on Grooveshark

mardi 14 octobre 2014

Des S- / A pieds joints

Sauter à pieds joints
Sortir des conversations sans une larme
Surprise de la ressemblance ignorée
Soulèvement de peau, en faisant du yoga
Sauf, safe, ces mots sur le parquet et sur le canapé lors de sa visite
Soudain, l'inconnu qui explique pourquoi il y a des chaussures au fil électrique
Send - voilà, c'est envoyé, comme une droite, comme une lettre aux joues rouges, comme une porte au passé. 
Souffle, chère Lia, sur tes bougies-ballerines, la lumière restera
Scotchée devant House M.D. pour passer dans l'automne
Sauvetage de la radio magique quand la peine Marine étouffe l'esprit, quand la manif-pour-quelques-uns débite des conneries et des espoirs, à la tronçonneuse. 
Saturne, j'apprends qu'il y a des orages - et sur Vénus, aussi
Silhouette plus sûre dans le perfecto bleu
Soudaine envie de danser, comme à chaque fois que la fatigue a tout emporté
Sirocco, chante Bertrand Belin, "sous le sirocco de son râle"
Suinter de pluie dans la ville, à apprendre les élèves
Stupéfaction quand je sors une petite boite à coudre pour présenter Thérèse Raquin
Silence, petit à petit, quand je lis des derniers mots de condamnés, avant d'ouvrir Victor Hugo
Superficialité joyeuse des cheveux allégés
Sacre des moments de victoire
Soie des minutes partagées
Sens, enfin, sens que tout cela, même inventé
Siroter du vin blanc, en cuisinant, parce que ça va, bien
Sinueusement marcher, de rose vêtues
Sécables les peurs que je découpe, comme on déleste une montgolfière
Sel en fleur, sur le carnet orange où frémissent les poèmes nouveaux
Soleil d'hiver, chante Arthur H, et voilà que ça écrit, écrit
Septembre octobre
Sursauter sous la peur et l'envie
Sauter à pieds joints




vendredi 3 octobre 2014

Septembre, débarquer

Je n'ai rien écrit sur la rentrée. Sur le retour.

C'est assez surprenant, cette idée de "rentrer" au travail. Surtout quand on n'est titulaire que d'une zone-de-remplacement. C'est à dire, d'une steppe, c'est à dire, du vent. Surtout quand on ne fait pas deux rentrées de suite au même endroit.

Plutôt que de rentrer, j'ai l'impression de débarquer. De m'aventurer dans des couloirs inconnus avec cet air curieux et inquiet. Par exemple, cette année, il me manquait une clé. Arriver le matin sans savoir si on va avoir la clé... Comment vous expliquer ce que ça fait ? Ce serait une bonne image de 'la rentrée". Il faut conquérir peu à peu des lieux, se saisir de toutes ces clés, celles pour les serrures, celle pour la cantine, celle pour le portail électrique, celle pour la photocopieuse, celles pour les espaces numériques de travail, celle pour la machine à café. Et puis toutes les clés invisibles et innombrables pour réussir à créer des liens avec les élèves et les collègues. Ces clés là, c'est comme les papillons. Quand on croit mettre la main dessus, on n'est jamais sûr qu'elle ne vont ni étouffer ni s'échapper.

Je n'ai rien écrit sur la rentrée.

Parce que c'est toujours cette sensation dont je parlais il y a deux ans. Que dire d'autre ? A chaque fois, il y a ce coup de poing, les espoirs démesurés et les craintes tout autant. Les précautions, le temps de se tourner autour, de se regarder faire, de se jauger. Toujours cette sensation, si ce n'est que j'ai l'oeil moins humide et le ventre moins hésitant qu'il y a deux ans. Si ce n'est que la pelisse de l'adulte est un peu plus usée et qu'elle tient mieux, qu'elle me démange moins.

A côté, il y a encore tout ce soleil, sur les pierres blanches, qui joue à l'été, à faire comme si, avec ses terrasses repeintes de blanc sec, assises sur un coin de trottoir. Il y a les visites simples-fortes-joyeuses, les rues que l'on remonte, les verres que l'on descend, les blagues nulles et les discussions existentielles. Il y a l'envie de continuer à prendre le temps pour la poésie, pour la cuisine, pour courir un peu même. Le refus de réduire à nouveau sa vie.

Le refus de réduire à nouveau sa vie.

A défaut de pouvoir vivre au jour le jour, apprendre à vivre durant le jour, et à laisser la nuit se goinfrer de silence. Oui, laisser un peu la nuit et participer au grand silence de la ville assoupie.