lundi 4 août 2014

F-estival - #1 Au sud de juillet


Le problème, avec les fins d'années qui n'en sont pas, c'est qu'il faut des chocs pour comprendre que c'est terminé. Qu'on peut enfin ouvrir le temps en grand. On n'en a jamais autant conscience que lorsque cette liberté des jours et de l'esprit semble compromise. Par un compte en banque affamé, par le manque de projets, par la fatigue ou par un problème de santé.

Au moment où j'ai réalisé que je ne pourrais peut-être rien faire de ce que je souhaitais, ou presque, soyons honnête, j'aurais pleuré comme une enfant.


A quoi bon avoir enfin vaincu la terreur des longs étés troués de vide, cette malédiction des années d'études aux boulots insipides et à la solitude amère, si c'est pour se retrouver clouée là, au lit de l’hôpital ou à la ville désertée ? Comment recommencer en septembre sans l'été qui traîne sur la peau, sans rien pour croire au soleil ?

Au moment où j'ai réalisé que j'allais pouvoir, quand même, vadrouiller un peu, retrouver, écrire, écouter, rire, débattre, voir, discuter, rencontrer, flâner, j'aurais pleuré, encore, comme une enfant.

Ce qu'il y a de bien, avec ces chocs qui ouvrent les vacances, c'est qu'ils nous autorisent à dériver, enfin, loin de là. Qu'ils nous forcent à quitter la terre ferme, à mettre un terme, et à se faire insulaire.


J'ai donc pris la voiture, un peu plus tard que prévu. J'ai suivi l'autoroute vers la méditerranée, avec du rock, des lunettes de soleil, et des galettes de riz au chocolat fondu. Ma voiture est allée se compacter parmi les milliers d'autres. On a roulé en accordéon. Qu'importe d'être en retard ? C'est le week-end et on roule en accordéon. On roule vers Archi et Verte, deux très-chers de l'Erasmus (et de tant d'autres choses depuis).

J'ai l'impression que j'arrive toujours dans cette ville à la même heure. Que je vois toujours le soleil horizontal dans les miroirs vers l’hôtel de région, et que je sens à chaque fois ce délicieux frisson des soirs orangers, en bord de mer. Même si je ne vois pas la mer.

Le parking était à sa place, Archi et deux de ses amies sont arrivés pour m'ouvrir en grand la porte des vacances. Il ne restait plus qu'à aller manger, ensemble, un peu fatigués, sur une place repeinte de monde. Verte est arrivée un peu après, avec ses cheveux plus courts et son sourire vif. Sur la nappe à carreaux, improviser un jeu, parler jusqu'à plus soif, et dire beaucoup de bêtises.

Sur la mezzanine, je me suis installée, temporairement. J'ai posé des livres, des vêtements, des carnets.

Nous sommes partis, plus léger, vers un village fantôme. A l'autre bout de la route, des gorges. Tant de choses y serpentent, du chemin, de l'eau, des rochers, que je ne peux qu'aimer. Je vais lentement entre les pierres, les chevilles sont fragiles, mais Verte et R. m'aident, de toute la bienveillance possible. Savent-ils à quel point il est rare de ne pas trouver dans l'aide une pointe d'agacement ? Savent-ils à quel point cela m'émeut, cette attention sincère et constante ? Au fond de l'après-midi, une cascade et une eau toute en retenue nous attendent. Je supporte soudain mieux d'avoir commencé la journée par cet acte désagréable en tous points : l'achat d'un maillot de bain.
Qu'est-ce qui fait qu'on sait se jeter dans l'eau froide comme on ne sait le faire nulle part ailleurs ?

On se régale, dans l'eau ou au resto, dans la ville éclairée que nous traversons le lendemain, de thé à la menthe fraîche, de coriandre achetée sur le trottoir qui embaume la cuisine, de pain marocain.


Parfois on n'est pas d'accord, du tout, sur le monde, la vie, la SNCF, les intermittents ou le programme tv. Ce n'est pas si grave, il y a d'autres accords.

Et si tout le monde râle, alors que nous sommes trempés jusqu'aux os, que la pluie nous bat aux tempes, si tout le monde râle et moi un peu, parce que Sète attendra, et les poèmes aussi, je jubile de cette ville et de ces traditions d'été. D'arriver encore à se retrouver, même sans effusions.

Le soir Verte et R. sont là. C'est si évident, que j'oublie d'être triste, à l'idée que bientôt, ils seront loin à nouveau. Loin au point de ne pas pouvoir appeler au dernier moment pour dire « Ma sœur vient dans ta ville, le week-end prochain, je peux profiter de la voiture. » Loin, au point qu'il faudra calculer à quelle heure s'appeler. Loin au point qu'on peut encore dire « à l'autre bout du monde », cette expression d'un temps révolu ou le monde avait deux bouts, un sens, et des distances infranchissables. C'est si évident que je fais un thé à la menthe, et qu'on joue ensemble, avant que la nuit ne nous reprenne.

Le lendemain, je repars, mi-digue, mi-raison. Trop d'au-revoir à a fois. Une ville de poèmes qui attend non loin de là.


Amerrir à Sète, le long du canal, face à la colline, sous le soleil, pour se rappeler l'été dernier. Pour frétiller dans le présent du poème. Osciller entre les rencontres éditoriales, et la pure émotion, la langueur des hamacs et la balade avec mon homonyme. Tout se mélange, sous les rayons et l'ombre ourlée de ciel. Le goût de la menthe, le vert vibrant des feuilles, leur frémissement tranquille et les mots qui se perdent. Je rencontre de belles éditions, de beaux projets, de belles personnes. Par exemple, je vous propose d'aller voir ce que font la revue Souffles, les éditions Tipaza (chez qui on m'a fait découvert un presqu'inédit de Guillevic...), la diffusion de l'Oiseau Indigo. Et plus généralement, d'aller faire un tour sur le site du festival, pour tomber comme par magie sur des choses folles, surprenantes, enthousiasmantes.

Sète, c'est aussi parler de ce que cela veut dire, écrire de la poésie, éditer de la poésie, en temps de crise, en temps de guerre, au Liban ou en Italie. C'est la rencontre d'auteurs d'ici, d'ailleurs, d’Israël, de Palestine, de Slovénie et d'Oman.

C'est une lutte de chaque instant contre la malédiction de Babel. Les poèmes se lisent dans toutes les langues de la méditerranée. Chacun vient, la bouche pétrie différemment. Et pourtant, toujours, nous nous entendons. Les oreilles ravies à leur environnement familier se retournent sur les chants plus ou moins inconnus. Tout descend beaucoup plus loin que l'intelligence. Les silences sont les mêmes, au creux des vers sonores. A une couleur près. Les silences sont les tympans des poèmes. Les passages dans lesquels tout vient rebondir et se faufiler.

Avant de quitter Sète, je m'autorise une gourmandise en allant écouter Salah Stetié accompagné par Yassin Vassilis-Cherif au Nay. Il n'y a rien à en dire. Ça suffit pour avancer sur l'autoroute de nuit.


Quelques jours avec Verte et Archi, à Montpellier, et la chaleur de la proximité pour tenir au plein de l'hiver.



Une seule journée, à Voix Vives, et des dizaines de raisons de battre, encore. De battre de partout. De croire qu'il fait beau.  


2 commentaires:

Augustine a dit…

J'aime ces instantanés mi figue-mi raisin, empreints de nostalgie, d'espoirs, de luttes et d'amours. Ton été débute dans le pays de mon enfance, merci pour ces photos là, merci pour ces mots là, il y a une telle sensibilité dans tes textes que je ne sais souvent que dire, une fois lus, sinon encore encore encore, la belle personne, de raconter !

Calor a dit…

x

=)

(sur la mezzanine tu as laissé une boucle d'oreille et une boite senteur mirabelle. Ils sont bien au chaud en Touraine et visitent la région en attendant la fin août).