mercredi 26 février 2014

A l'arrêt

En haut des feuilles copie carbone s'étale un mot qui dit l'immobilité et l'attente. Il y a là-dessous, la perte du chemin qui détale trop vite, et la fatigue de ne plus être capable d'avancer. On peut aussi y lire l’insurrection du corps contre la marche forcée, la révolte de l'être contre l'absurde monochrome professionnel des jours. Le cerveau s'est mis à renacler, à protester contre le manque de temps, et la surabondance d'informations à traiter, en drastique décalage avec les nourritures absorbées. Il s'est mis à s'éparpiller, et puis s'est inscrit aux abonnés absents. En grève. "Je suis en rupture de stock, je ne peux traiter votre appel pour le moment" a-t-il fini par déclarer. 

L'être a voulu faire le malin, faisant fi des gyrophares chuchotant un peu partout, se réfugiant derrière quelques progrès rassurants, et s'est mis à croire qu'il allait continuer à se débrouiller, à rapiécer, à redistribuer les fonctions du cerveau à d'autres organes. Qu'il allait pouvoir être avare en sommeil encore et encore. Mais tous les voyants ont fini par se mettre à l'orange vif, et les copies carbone disent aussi cela : l'être a fini par entendre avant qu'il ne soit trop tard, à appeler le garage, et à admettre que la mécanique avait besoin de quelques ajustement et d'un refroidissement.


Au bord de la route, je flâne un instant, je me fortifie, je respire un grand coup, je fais le tri dans le jardin, et je balaie sous ma porte. Je glisse les traces du passé dans des boites à thé. Il ne faut pas se laisser aller à vau l'eau mais s'empêcher en même temps d'être impitoyable. Alors, du rouge sur les lèvres, et un ciel cerise sur le cou, étoilé de blanc. Alors des tintements aux oreilles de rétameuse semi-précieuse. Alors, marcher dans les rues pour retrouver la mécanique de la respiration. Au bord de la route, je refais force et muscles, parce que le cheminement attend dehors, et me presse. J'avance à petit pas, depuis l'intérieur de l'appartement, souvent. Je ne sais pas trop si c'est se préparer pour la course, qu'il faut, ou si c'est attendre qu'un tramway (nommé désir) ne passe pour sauter dedans à pieds joints. Je suis à l'arrêt. 

Mais au delà de l'immobilité apparente du terme et de tout ce qu'elle transporte comme culpabilité, rouille, peur, échec, honte et autres chapelets de soupirs, il y a une forme de tranquillité, et presque de confiance. Cette fois, savoir qu'il y a derrière l'arrêt une volonté réelle de continuer à mettre un pied devant l'autre. La sérénité de savoir enfin entendre le cliquetis de la machine grippée, et de savoir en prendre soin. La sérénité de savoir que la vieouioui, sans en douter. 

Je suis à l'arrêt mais ça va. Quelque part.


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