mercredi 15 janvier 2014

L'Hiv(r)er partie 2

...

"A part dire 'tu es là'
Que peut-on dire de toi ?"

Dominique A





Je suis revenue à la maison, qui commence vraiment à frémir. Oui, je les quitte toujours à regret, mais je n'ai jamais peur de ne pas savoir les retrouver, un jour ou l'autre. Je pars avec un peu plus de clarté, d'énergie et de confiance.

A la maison, donc, dans Marue, de nuit, avec un grand sac à dos, des heures de train, et mille autres bricoles sur la peau. Je glisse sur la ville, dans la nuit, le vendredi. On commence à se connaître mieux, la ville et moi, la nuit et moi. Je me sens rentrer à la maison, les poumons plus clairs, et presque pas de soupir dans la voix.

A l'appartement, il y a une chouette qui veille les yeux fermé, une chouette avec un nom, pour ne pas avoir à tout recommencer encore pour habiter ici. En décembre, enfin, il y a des choses qui se sont déposées sur les murs. des photos, de lambeaux de passés, de possibles futurs, des projets et des chamboulements. De la couleur, devant le bureau, quelques figures de l'inspiration, quelques questions données en khôlle qui datent de l'autre vie, de la Kh et de la rue d'Elise pour ne pas oublier de douter. Des cartes anciennes avec des mots, tirés des carnets, des poèmes, et des chansons, sur les sentiers vers ici, sur les lieux qui continuent de me passer sur les pores. Les lieux et les gens qui me font la peau, sous forme de carte, d'énigme. Qui brodent l'envie d'aller voir ailleurs si j'y puis. Qui frôle aussi ma joie de rester un peu ici.

 A des kilomètres de là il y a les mails qu'elle m'envoie avec des liens vers les lieux pour mes presque-poèmes. Comme ça. Comme si c'était évident qu'il fallait qu'ils partent et qu'ils parlent à d'autres. Il y a la route qu'ils parcourent parce que la batterie est en panne, pour qu'on puisse manger ensemble quand même, et que je puisse serrer le frère avant qu'il ne vive son propre décollage, avant de se revoir dans quelques semaines ou mois, dans un autre pays. En Bretagne, il y avait la voix de Noï sur mon répondeur. Je pense à elle, des années plus tôt dans cette ville où je vis, parce que demain j'irai voir Antigone avec mes élèves. Plus tard, il y a eu d'autres voix, d'autres mots, ceux de Ch, ceux de Co. Vous savez, toujours ce trucs des gens qu'on ne voit pas pas pendant des mois mais qu'on retrouve toujours sans avoir à tâtonner.

Sur la table en bois, le papier pour l'origami, les animaux totem, qui naissent sous mes petits doigts ronds aux ongles un peu trop longs. Il y a quelques sourires d'élèves inattendus, et un week-end sans énergie. L'envie de temps et de solitude pour boire le plafond à la menthe, les étoiles de la tasse dans les doigts, pour se tacher la peau à l'encre délébile, pour se corner les yeux aux pages des livres. Quand la radio défaille, ma voix tient et s'ouvre : ils n'y sont pas pour rien. 

Avec des confiances comme ça, ai-je d'autres choix que croire en moi ?

Tout ça qui s'infuse dans les jours de "reprise". Il faut repriser les vacances comme des béances, des espaces ouverts ostensiblement. Et ça perce la peau. Mais ça permet de se tenir à des choses aussi. 

Ce soir, j'ai un an de plus. Bon, en fait, j'ai juste un jour de plus, mais il y a un chiffre qui tourne au compteur. Les petits messages à dos de corbeau me viennent, souvent inattendus. Ce qu'il y a de bien quand on est nul en dates, c'est qu'on s'émerveille de ceux qui y pensent, qui envoient un petit signe. Mais qu'on n'est pas heurté par les silences. Alors même si je ne verrai personne en dehors de travail, si ni la vodka ni la bière, si pas les bougies, et si que les voix des 4e3 pour chanter, si tout ce qui pourrait paraître triste ou pitoyable depuis le regard de ceux qui ne sont pas dans mes os

                              c'est bien.



Aujourd'hui, j'avais un jour de plus, et un rendez-vous qui me fichait une peur toute bleue. Aujourd'hui, j'ai un jour de plus, et je sais être bien, seule dans cet appartement, où il y a un accordéon, des cartes anciennes et de la poésie à portée de main. Un jour de plus et je sais encore, comme hier, qu'ils sont comme les lampadaires quand l'eau et la nuit s'étreignent et que je marche au bord de la rivière, ils bienveillancent tellement que cela ne peut que se refléter aux tréfonds de mes fleuves.

Un tout petit jour de plus, et voilà qu'ils tombent, les mots qui disent l'estime, la confiance, la reconnaissance - après les batailles sangl(ot)antes des deux dernières années, ça a un goût de récompense, et de sucré. Un tout petit jour en plus, et il pleut à nouveau à l'intérieur de la voiture, devant ces champs que j'ai frôlé de honte et de douleurs deux ans avant. Il pleut de soulagement, et un peu de fierté, il pleut d'arriver là, enfin, comme on arrive après une traversée, sur un rivage, et qu'on ose enfin s'appuyer de tout son poids sur la terre. Il reste à marcher.

Aujourd'hui un petit jour de plus, oui, c'est con, de faire un check point les jours d'anniversaire. Mais c'est bon de sentir qu'il n'y a rien à prouver, pour ce soir. Regarder le petit jour tout bête où l'on a mis les pieds en se disant "alors, je suis là ? Chouette."

J'avais un jour de plus, et je dois bien admettre que je vois de moins en moins de raisons de ne pas accueillir quelques jours de plus.





ndlr : Le "aujourd'hui" du billet n'est pas le "aujourd'hui" de la publication

Aucun commentaire: