vendredi 9 novembre 2012

"Je" dangereux ?

J'ai suspendu mon geste, mais c'était trop tard. Le trait rouge était là, encré sur les carreaux, sur l'encre bleu. J'ai suspendu mon geste un instant trop tard. Stupéfiée. 
J'ai rayé un "je" dans une copie. 
Réflexe académique. Code de l'institution scolaire française. Pas de "je". De "Je pense", ni de "je crois". Réflexe de bonne élève devenue prof. La rature partait d'un de ces terrifiants "bons sentiments" : transmettre une code. 
Mais ce "je" barré, soudain c'était insupportable. La force de l'image, du symbole de ce "je" barré. Je me suis rendue triste. C'était tout ce que je ne voulais pas de mon métier comme aliénation de l'élève, comme aliénation de moi même. C'était notre négation à tous. 
Deux lettres, un trait, pour ajouter à la fatigue de ces corrections sans fin et aux interrogations qui s'ensuivent irrémédiablement. 

En accord avec la bande originale du dernier James Bond qui tournait à ce moment là "Let the sky fall when it crumbles..."

Et puis se reprendre, minuit passé, alors que ça y est, la dernière copie est corrigée. Sourire, parce que oui, deux lettres barrées, ce n'est pas négligeable. Et en même temps, je me sens tellement moins déchirée par mon métier, mes élèves me semblent eux aussi plus sereins. En vrai, même si j'ai barré un "je", je m'aperçois que je m'approche de cette fameuse "individualisation", de tous ces "je" dans le nous de la classe. 

Fatiguée, mais rassérénée  je peux aller me coucher. Il faudra continuer à veiller aux choses minuscules qui nous séparent, mais ce soir, ce n'est qu'un trait et il ne dit pas tant, finalement. 

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