samedi 13 décembre 2014

Nocturnes en décembre médian

C'était la nuit.

Il y avait du rock dans les oreilles. Immense, devant les lampadaires, sur la route déserte. Petite dans cette ville familière. Les mains au fond des poches du blouson bleu et le goût du Savagnin encore au bord des lèvres.

Quelque chose battait. Peut-être les cils. Peut-être les pas qui résonnaient sur les façades. Peut-être les rires francs et massifs qui avaient éclatés autour de la table. Peut-être la perspective de cette avenue, des autres derrières, à présent empruntées vers d'autres. Peut-être une joie, d'arriver là, dans le festin de décembre qui se re-joue tous les soirs, jusqu'à ce médianoche. D'arriver, dans cette semaine qui s'ouvre sur une vie enfin un peu établie. Une ville-établi sur laquelle il y a des trucs qui se construisent, tranquillement.

Quelque chose battait. Peut-être l'envie de la suite.

Et dans la nuit, zébrée des repas à rire indéfiniment, de thé à parler de Trakl avec une américaine, de ventres en l'air dans des salles de spectacle, de plexus au soleil, sur le sol-air(e) de la salle de yoga, dans cette nuit de décembre, ne pas avoir la trouille, pour une fois.

C'étais la nuit. J'étais chez moi.

*Edit : "C'étais la nuit" est-ce à dire "J'étais la nuit" ? Ou "c'était la nuit" ? Je ne sais.

Stuck at home by The noise grinders on Grooveshark

mardi 14 octobre 2014

Des S- / A pieds joints

Sauter à pieds joints
Sortir des conversations sans une larme
Surprise de la ressemblance ignorée
Soulèvement de peau, en faisant du yoga
Sauf, safe, ces mots sur le parquet et sur le canapé lors de sa visite
Soudain, l'inconnu qui explique pourquoi il y a des chaussures au fil électrique
Send - voilà, c'est envoyé, comme une droite, comme une lettre aux joues rouges, comme une porte au passé. 
Souffle, chère Lia, sur tes bougies-ballerines, la lumière restera
Scotchée devant House M.D. pour passer dans l'automne
Sauvetage de la radio magique quand la peine Marine étouffe l'esprit, quand la manif-pour-quelques-uns débite des conneries et des espoirs, à la tronçonneuse. 
Saturne, j'apprends qu'il y a des orages - et sur Vénus, aussi
Silhouette plus sûre dans le perfecto bleu
Soudaine envie de danser, comme à chaque fois que la fatigue a tout emporté
Sirocco, chante Bertrand Belin, "sous le sirocco de son râle"
Suinter de pluie dans la ville, à apprendre les élèves
Stupéfaction quand je sors une petite boite à coudre pour présenter Thérèse Raquin
Silence, petit à petit, quand je lis des derniers mots de condamnés, avant d'ouvrir Victor Hugo
Superficialité joyeuse des cheveux allégés
Sacre des moments de victoire
Soie des minutes partagées
Sens, enfin, sens que tout cela, même inventé
Siroter du vin blanc, en cuisinant, parce que ça va, bien
Sinueusement marcher, de rose vêtues
Sécables les peurs que je découpe, comme on déleste une montgolfière
Sel en fleur, sur le carnet orange où frémissent les poèmes nouveaux
Soleil d'hiver, chante Arthur H, et voilà que ça écrit, écrit
Septembre octobre
Sursauter sous la peur et l'envie
Sauter à pieds joints




vendredi 3 octobre 2014

Septembre, débarquer

Je n'ai rien écrit sur la rentrée. Sur le retour.

C'est assez surprenant, cette idée de "rentrer" au travail. Surtout quand on n'est titulaire que d'une zone-de-remplacement. C'est à dire, d'une steppe, c'est à dire, du vent. Surtout quand on ne fait pas deux rentrées de suite au même endroit.

Plutôt que de rentrer, j'ai l'impression de débarquer. De m'aventurer dans des couloirs inconnus avec cet air curieux et inquiet. Par exemple, cette année, il me manquait une clé. Arriver le matin sans savoir si on va avoir la clé... Comment vous expliquer ce que ça fait ? Ce serait une bonne image de 'la rentrée". Il faut conquérir peu à peu des lieux, se saisir de toutes ces clés, celles pour les serrures, celle pour la cantine, celle pour le portail électrique, celle pour la photocopieuse, celles pour les espaces numériques de travail, celle pour la machine à café. Et puis toutes les clés invisibles et innombrables pour réussir à créer des liens avec les élèves et les collègues. Ces clés là, c'est comme les papillons. Quand on croit mettre la main dessus, on n'est jamais sûr qu'elle ne vont ni étouffer ni s'échapper.

Je n'ai rien écrit sur la rentrée.

Parce que c'est toujours cette sensation dont je parlais il y a deux ans. Que dire d'autre ? A chaque fois, il y a ce coup de poing, les espoirs démesurés et les craintes tout autant. Les précautions, le temps de se tourner autour, de se regarder faire, de se jauger. Toujours cette sensation, si ce n'est que j'ai l'oeil moins humide et le ventre moins hésitant qu'il y a deux ans. Si ce n'est que la pelisse de l'adulte est un peu plus usée et qu'elle tient mieux, qu'elle me démange moins.

A côté, il y a encore tout ce soleil, sur les pierres blanches, qui joue à l'été, à faire comme si, avec ses terrasses repeintes de blanc sec, assises sur un coin de trottoir. Il y a les visites simples-fortes-joyeuses, les rues que l'on remonte, les verres que l'on descend, les blagues nulles et les discussions existentielles. Il y a l'envie de continuer à prendre le temps pour la poésie, pour la cuisine, pour courir un peu même. Le refus de réduire à nouveau sa vie.

Le refus de réduire à nouveau sa vie.

A défaut de pouvoir vivre au jour le jour, apprendre à vivre durant le jour, et à laisser la nuit se goinfrer de silence. Oui, laisser un peu la nuit et participer au grand silence de la ville assoupie. 

mardi 23 septembre 2014

A l'atelier #2 : Dehors (septembre bis)

Allez, un texte d'atelier, pour balancer encore l'été dans son hamac de papier. Ici, il s'agissait de  poursuivre un texte de Philippe Malone, Septembre, poème d'un seul souffle qui suit le parcours d'un enfant dans un paysage en ruines et sous les bombardements, jusqu'à l'âge d'homme. Le fragment initial en italique est donc de l'auteur. (Au passage, allez donc lire le livre en entier...) Et puis, inspirée par Augustine, une version sonore à écouter en bas, comme en atelier. 


*

et commence le long chemin de l'enfant, bras en croix, mains ouvertes dans le couloir obscur, où il sent le courant de l'air qui arrive du bout du couloir, sans que les yeux puissent toucher autre chose que la nuit, sans lampe, sans veilleuse, et bascule son corps sur la jambe gauche, gauche le corps déséquilibré sans ligne d'horizon, alors l'enfant appuie de ses oreilles sur le silence interne, alentour, sur cette seule ligne droite pour soutenir le lent basculement d'une marche à tâtons

et il décroise dans l'espace secret, sa main droite, juste après la jambe droite, l'une qui cherche le sol, l'autre qui cherche le mur, et qui n'a pas le loisir d'hésiter, à l'orée de ce mur fait d'on ne sait trop quoi, alors la main de l'enfant heurte la paroi, s'étonne des aspérités franches d'une peinture écaillée qui fait comme une falaise au bord de la nudité, pendant que le pied de l'enfant se repose sur le sol sans être sûr qu'après, il n'y aura pas la même falaise que sur le mur, et à chaque nouveau pas, il faut tâter l'espace, essayer de voir du bout de la chaussure où s'arrête le monde – Est-ce que c'est là ? Est-ce que c'est là ?- jusqu'à ce qu'un corps dise, c'est ici que ça s'arrête pour un temps, que tu dois réfléchir, encore, à l'enjambement des corps, d'accord, d'accord, dit l'enfant, aux yeux ouverts à vide, quand une larme penche,

alors l'enfant trouve au fond de sa jambe comment survoler le corps et rassurer le gouffre qui suit, et il continue, ainsi, jusqu'à ce que la main tombe soudain dans le vide, jusqu'à ce que le pied sente le sol s'effriter et lui faire une place, jusqu'à ce que le vent qui bouscule ses cheveux soit plus fort, il continue ainsi, pesant chacun de ses muscles, vivant chaque bout de corps jusqu'à ce qu'il soit dehors.


  

mardi 16 septembre 2014

La fin des estivités

Quand les toiles de festivals ont été repliées, qu'il a fallu se dire au revoir, ente deux guimauves, quand on a fini par lâcher les derniers mots, ceux que seuls les au-revoir savent nous faire expirer, je suis allée dormir sous la voûte d'une maison amie. Et puis, le lendemain, je les ai retrouvés, là. De ces quelques jours, beaucoup de sautillements, et les petits ratés qui vont avec. Pétanque tout-terrain, têtes coupées, promenades à parlotte, lumières orageuses à siroter, verts de chair. S'élancer en riant. Un, deux, trois... Garder ça, l'élan sous les rires et les membres envolés, tordus, dessinés. Un, deux, trois... 













En septembre, comme un épilogue à cet été, je retourne dans la maison d'enfance de Bouh. On était là, dans le vert, à faire les choses, tranquillement, dans cette évidence, comme si on allait se revoir avant plusieurs mois. Boucler l'été sur cet au-revoir, sur ce quatrième départ, un "bout du monde", encore un, un nouveau, un autre bout du monde. Garder l'image de la belle Bouh, dans le rétro, flamboyante dans le soleil et sa jupe rouge. Serrer les yeux pour ne pas pleurer. Une dernière fois, dire un "bonne route", dans le rétro, perdu dans le crissement des pneus. 













N.B. : Les trois dernières photos en noir et blanc sont des détails de photos prises par Mlle Bouh en question.

lundi 15 septembre 2014

F-estival #3 - Sous l'arbre, soleil de loir

Repartie pour un tour.
Toujours avec une voiture au soleil, de la musique, et quelques poches de poésie, pour l'intraveineuse.

Le départ s'était fait bien avant. Un jour, mon amie Celar avait appelé en me disant "il y a cet endroit- ils ont une bourse d'écriture, tu devrais essayer". Puis, un autre jour, elle avait dit "Tu te rappelles de cette bourse d'écriture ? Vraiment, tu devrais faire un dossier. Moi, j'ai la sensation qu'elle t'attend, qu'elle est pour toi." Enfin, c'est moi qui l'ai appelée en disant "Je l'ai eue".

Voilà. c'est l'histoire de cette semaine où quelques personnes ont décidé de me donner du temps, de l'argent, de l'espace, pour que je puisse écrire. C'est l'histoire de cette découverte : j'ai le droit d'écrire, de le dire, de vouloir en faire quelque chose de plus que moi.

Je ne sais pas comment vous parler de cette dernière semaine de fête estivale.

Parce que je tiens au fait de n'être ici que Felixe Blizar, que vous ne sachiez de Félixe que le fait que ses trajets en voiture sont des épopées (et quelques autres trucs). J'aime être ici n'être qu'une fraction de moi, une demi-portion, une ombre ou un vague reflet, tout en ayant l'impression que ça me permet d'être aussi un peu plus que moi-même. Etre cette part de moi que j'appelle Félixe Blizar, qui vit dans une ville sans nom, dans une rue de surnom. Et que si je commence à vous raconter cette semaine en détails, c'en sera fini de Félixe, de la possibilité de me cacher derrière cette fraction, derrière cette fiction. Oui, si je vous raconte, les fils seront cette fois trop facile à tirer, et hop, plus de masque, plus de robe, plus que de la peau nue. Ça, je ne sais pas faire encore. 

J'oscille. L'envie de dire cette chance, ma gratitude, ma joie mais aussi les choses moins jolies, la fierté, les aiguilles d'orgueil. L'envie de vous envoyer des liens vers les gens incroyables rencontrés, de partager mes lectures folles. Et puis la nécessité du contre-jour pour avancer. 

A défaut de savoir vraiment vous raconter, je vous envoie une rétrospective, mots en mains.









jeudi 28 août 2014

Intermède estival : L'Hospitalière

Vacances coupées en deux.
Où l'on réapprend que rien ne se passe jamais comme prévu.
Qu'on ne maîtrise pas tous les langages.
Qu'une bulle dans le cathéter peut te repeindre en bleu. Et qu'une lame n'est pas forcément un couteau.

Mais la présence de T&A, toujours toujours. Et de ma tante Mistigri. Les coups de fil, et un Dan Brown avalé dans une nuit claire.

Mais la journée de visites la plus folle, avec les acolytes.
Oui parce que bien sur, le seul jour de l'année pour se voir, avant qu'ils ne repartent tous dans leurs contrées très lointaines (encore des amis à l'autre bout du monde), c'était le lendemain de mon supposé retour de l'hôpital.
Qui s'est transformée en rencontre à l'hôpital (goût pour l'original et l'inoubliable, dîtes-vous...)Voilà comment on s'est retrouvés entre les références à Pascal et à Kaamelott, un immense cerf-volant déployé sur le lit. Voilà comment je suis allée faire des pas dans le couloir avec la Coloquinte, riant du ridicule de la situation, alors que le moindre rictus me fendait le corps.

Se tenir littéralement les côtes en riant. Trouver ça étrangement beau. Comme cette fête des vingt ans où j'ai vomi avant de boire une goutte d'alcool, juste parce que N. avait amené un cadeau private-joke-référence-bonvoyage our le moins original. Et la belle Coloquinte, la si belle alerte rousse et sa générosité, son sac de Mary Poppins, son sourire malicieux, ses conseils de films gores et son regard aiguisé... Avoir mal au ventre, littéralement, de penser qu'on ne se reverra pas avant quelque chose comme un an.



Rentrer à la maison. Enfin, la leur.
Et voir arriver les amis de Belgique, Passereau et son compagnon, de retour de rando. Manger un peu plus. Rire autant, attablés dans le salon de mes parents. Cette chance de toujours pouvoir mêler famille et amis. Qu'ils connaissent ceux qui peuplent mes villes. Sourire de les imaginer, un de ces jours, sans moi mais avec Passereau, dans les rues de Gand.

Et puis le lendemain, alors que la maison se déserte, Bouh arrive. On reste là toutes les deux, à se soigner l'une l'autre, à ramasser des cornichons, à discuter beaucoup, à regarder un film sur Villa El Salvador (envies de partir), à déjeuner sur la terrasse, à prendre le temps du temps. Clo. passe nous voir et voilà que soudain, les torrents jaillissent, au croisement de nos trois vies de femmes. Que tout ça se raconte, comme à la bougie, sans qu'on comprenne bien comment la nuit arrive. Je repense au fait que confiance se dise confidence en anglais. Comme cela a du sens.

Vacances coupées en deux.
Encore une autre vacance au milieu.
Où l'on réapprend que rien ne se passe jamais comme prévu.
Où l'on re-connaît qu'il y a tant de gens autour, et que l'on a tellement de chance...

F-estival #2 - A la rue

Quitté à regret les poèmes de Sète qui séchaient au soleil. Le lendemain, il y avait un rendez-vous pas très drôle. Pas grave non plus, mais nécessaire. Et un deuxième pour le surlendemain. J'ai fait les allers-retours sous les rayons lourds de juillet, seule, comme une grande.


Quand je suis revenue, une ville avait changé. Il y avait des affiches partout, de gros points-repère rose, des écoles renommées et des specta-touristes en goguette. Aux terrasses des cafés, des artistes et des techniciens discutant du statut de l’intermittence. C'était comme si tout était déguisé ou révélé.

J'avais déjà vu la ville en costume de festival. La toute première fois que j'étais venu, pour les toutes premières vacances entre amis, c'était déjà dans le théâtre, en juillet. Bien sur que c'est étrange, de redécouvrir les dix-sept ans sous la ville de l'âge adulte. De fredonner "Romocheva", sur le quai où l'on ne peut plus circuler.

Il reste quelques trucs à faire avant de retrouver la filleule de Kh. Mais, en passant vers le centre nerveux du festival, c'est pile sur elle que je tombe, et sur ses parents. Les petites coïncidences qui donnent un sens, même factice, aux lieux que l'on parcourt.

J'attends ensuite V. et M., deux oiseaux de passage, par hasard, pour autre chose. Ma filleule, Violette, nous rejoint. Et finalement, la première soirée de festival se passera hors festival, à manger indien-végétarien et à errer dans les rues envahies de spectacles off-du-off-du-off. C'est une soirée à la fois étrange et facile, au milieu des traces d'un quotidien en robe d'apparat et en détritus de foule.

Le lendemain, déjà, il faut se dire au-voir avec V. et M. Violette part à l'assaut de la ville, et moi j'attends, en essayant d'attraper un peu de calme. Il y a toujours ce sentiment très ambigu, à la veille des semaines serrées d'amis, étouffées de gens et de choses à voir, qui pendule entre la joie pure, l'excitation, et la crainte de ne plus respirer, de me sentir pressée, op-pressée.


Je m'élance tout de même dans le ville, seule d'abord, l'appareil photo à la main. Pour réapprendre à voir, pour apprivoiser, frôler des yeux, admirer un peu les endroits usés de semelles. L'appareil est mal réglé, il faudra s'en occuper. Mais tant pis, pour cette fois, cela suffira. Regarder le monde un peu plus flou.

Ce jour-là, peu de spectacles. Beaucoup de grèves et de conversations. C'est difficile, et pourtant, il y a quelque chose de très beau dans ce programme édenté, dans le calme saturé de monde qui se contente de marcher et de discuter, dans les itinéraires invraisemblables et les piétinements des débats. Les compagnies viennent tenir leur rendez-vous, expliquer la grève, discuter. Un chœur de femme, en civil, chante "Bella Ciao" sous un soleil de plomb au lieu du spectacle prévu. Les gens autour chantonnent, hument, sifflotent. Les applaudissements sont nourris, un peu fébriles et émus. Cela rend bien l'ambiance de cette ville en festival et en attente, des gens qui marchent vers des spectacles qui n'auront pas lieu et qui n'en prennent pas ombrage. Je suis soulagée de ce soutien palpable, tangible.

Au bout du fil, il y a la famille qui doit arriver, qui viendra en deux groupes malgré les cailloux dans la machine. Le frère et Lia d'abord, que je guide dans les rues mal connues. Puis T&A, qui arrivent dans la petite cour du musée. Les groupes se font et se défont. On voit le meilleur, et le moins meilleur. Des ovnis qui réussissent à nous emmener. Plantés debout, avec les pieds écrasés, à rire. La fatigue tombe peu à peu. Les rues de nuit, étoilées de monde. On rentre camper à l'intérieur. Il y a la petite lumière et un matelas bleu à côté de celui du frère et de Lia. Des mots de bêtise, des douceurs, comme devant la table du petit déjeuner, que l'on déserte pour aller voir les Souffleurs, immobiles, veiller sur la ville. En terrasse, avec un café, au soleil, et les Souffleurs qui veillent.

Vadrouiller au gré des écoles peinturlurées, au soleil, dans cette lenteur joyeuse des groupes qui doivent prendre des décisions. Et maintenant, quel spectacle ?


Deux histoires de migrants. Une déambulation et un cercle.  Jusqu'au soir, vers la cour où, en rond, se jouent les lignes frontalières qui déchirent les mondes. Les imperméabilités à sens unique. Les mobilités pointillères. En traversant la rivière, cela fait débat. Sont venus nous rejoindre Fr. et Bou, leur sourire et leur sac en bandoulière. Se demander ce qu'est l'intérêt d'un spectacle, d'une oeuvre d'art, ce qu'on en attend, tout ça devant un hot dog, sur les tables poisseuses qui font tout le charme des fêtes en plein air. John-et-Pluto-er, encore, ne pas toujours être raccord. Et puis laisser les familiers reprendre la route, un peu à contre-coeur.

Se voir à demeure, et se sentir ailleurs.

On reste tous les trois comme des points de suspension.



Il y a des cirques prometteurs et décevants, s'avoue-t-on en pouffant notre ennui. Se barrer en riant, dans les artères d'ombre, éclairés à demi. Illuminés aussi. On attendra les tambours sous la pluie. Le feu des percussions, le rythme des artifices, que l'on suit, aveuglément. Les enfers déchaînées. Les pudeurs décharnées. Quand ça frappe trop fort contre la peau, que tout devient heureusement rugueux.

La nuit, je sens comme aux soirs des Noël de l'enfance. Cette même envie d'engloutir la nuit et le sommeil, les rêves, pêle-mêle, parce que c'était bon, cette journée, et que le lendemain promet de l'être tout autant.

Compter presque les pas, sur le chemin de la gare. Ce chemin du matin, celui des petits départs, en douce, dans la ville qui baille aux abeilles. Sur le quai, soudain, près du machin d'attente en plexiglas, Clo. arrive. On ne s'est pas vues depuis plus de trois ans. Et la voilà, avec son sac de couchage rose vif et ses cheveux noirs-mais-rose-ce-serait-chouette. Sur ce chemin-de-la-gare-du-matin, qui dans le sens inverse fait un peu mal aux yeux, en bien, les mots s'ouvrent avec une certaine évidence. Et-vit-danse. Dense?


Puis, dans l'appartement où nous déjeunons, avec Bouh, Fr. et Clo, voilà la belle Lu, qui arrive avec les croissants, avec sa robe légère et son regard rieur. On est un peu étonn-é-mu, d'être ici, parce que cette fameuse première fois de festival entre amis, c'était avec Bouh, Fr. et Lu. Et si on m'avait dit qu'on se retrouverait dans ce lieu là, là, beaucoup plus tard... Il y avait une place de libre, inoccupée, à la table et dans nos esprits, pour Celar, au travail, pour un autre festival (histoire à venir), qui manquait, nous manquait.

On a vu des choses bouleversantes, renversantes, poétiques, amusantes, poignantes, questionnantes, évidentes, ardentes, hystérisantes, élégantes, fines, décevantes ou encore terrassantes. A deux reprises, nous sommes tous sonnés, d'un coup de poing, par la grâce, qui nous laisse ébahis, et d'accord tout à fait, émerveillés et touchés. Et ce n'est pas rien.


A côté des spectacles, on a dit des mojitos et bu des paroles, beaucoup. Des bêtises. Des non-bêtises. . Des nourritures de l'esprit, des nourritures terrestres, c'était comme céleste et à la fois terrien. C'était évident et facile, la vie tous les cinq. Il suffit, quand il pleut, de se replier à Jumiège. Ces heures-là ont le goût des gaufres liégeoises qui collent aux doigts dans la nuit et de la menthe qui se fait rare. 

Tellement simple que quand on ramène No, on ferme les écoutilles forts pour ne pas pleurer, comme quand on était ados et qu'on se quittait dans les gares sans bien savoir quand on allait se retrouver. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vue ou presque. Je me dis que bientôt, c'est moi qui prendrai le train pour aller la voir. Avec ceux qui restent, on refuse de se quitter le dimanche. 

C'est tout le luxe qu'il nous faut, décider au dernier moment que finalement, non, on se quittera lundi, après avoir bu, et joué, alors qu'il fait gris, et que la ville, toute nettoyée, avait repris son tailleur de pluie comme si rien ne s'était passé.

Je ne sais pas comment fait la rue. Moi j'en reste toute retournée.


lundi 4 août 2014

F-estival - #1 Au sud de juillet


Le problème, avec les fins d'années qui n'en sont pas, c'est qu'il faut des chocs pour comprendre que c'est terminé. Qu'on peut enfin ouvrir le temps en grand. On n'en a jamais autant conscience que lorsque cette liberté des jours et de l'esprit semble compromise. Par un compte en banque affamé, par le manque de projets, par la fatigue ou par un problème de santé.

Au moment où j'ai réalisé que je ne pourrais peut-être rien faire de ce que je souhaitais, ou presque, soyons honnête, j'aurais pleuré comme une enfant.


A quoi bon avoir enfin vaincu la terreur des longs étés troués de vide, cette malédiction des années d'études aux boulots insipides et à la solitude amère, si c'est pour se retrouver clouée là, au lit de l’hôpital ou à la ville désertée ? Comment recommencer en septembre sans l'été qui traîne sur la peau, sans rien pour croire au soleil ?

Au moment où j'ai réalisé que j'allais pouvoir, quand même, vadrouiller un peu, retrouver, écrire, écouter, rire, débattre, voir, discuter, rencontrer, flâner, j'aurais pleuré, encore, comme une enfant.

Ce qu'il y a de bien, avec ces chocs qui ouvrent les vacances, c'est qu'ils nous autorisent à dériver, enfin, loin de là. Qu'ils nous forcent à quitter la terre ferme, à mettre un terme, et à se faire insulaire.


J'ai donc pris la voiture, un peu plus tard que prévu. J'ai suivi l'autoroute vers la méditerranée, avec du rock, des lunettes de soleil, et des galettes de riz au chocolat fondu. Ma voiture est allée se compacter parmi les milliers d'autres. On a roulé en accordéon. Qu'importe d'être en retard ? C'est le week-end et on roule en accordéon. On roule vers Archi et Verte, deux très-chers de l'Erasmus (et de tant d'autres choses depuis).

J'ai l'impression que j'arrive toujours dans cette ville à la même heure. Que je vois toujours le soleil horizontal dans les miroirs vers l’hôtel de région, et que je sens à chaque fois ce délicieux frisson des soirs orangers, en bord de mer. Même si je ne vois pas la mer.

Le parking était à sa place, Archi et deux de ses amies sont arrivés pour m'ouvrir en grand la porte des vacances. Il ne restait plus qu'à aller manger, ensemble, un peu fatigués, sur une place repeinte de monde. Verte est arrivée un peu après, avec ses cheveux plus courts et son sourire vif. Sur la nappe à carreaux, improviser un jeu, parler jusqu'à plus soif, et dire beaucoup de bêtises.

Sur la mezzanine, je me suis installée, temporairement. J'ai posé des livres, des vêtements, des carnets.

Nous sommes partis, plus léger, vers un village fantôme. A l'autre bout de la route, des gorges. Tant de choses y serpentent, du chemin, de l'eau, des rochers, que je ne peux qu'aimer. Je vais lentement entre les pierres, les chevilles sont fragiles, mais Verte et R. m'aident, de toute la bienveillance possible. Savent-ils à quel point il est rare de ne pas trouver dans l'aide une pointe d'agacement ? Savent-ils à quel point cela m'émeut, cette attention sincère et constante ? Au fond de l'après-midi, une cascade et une eau toute en retenue nous attendent. Je supporte soudain mieux d'avoir commencé la journée par cet acte désagréable en tous points : l'achat d'un maillot de bain.
Qu'est-ce qui fait qu'on sait se jeter dans l'eau froide comme on ne sait le faire nulle part ailleurs ?

On se régale, dans l'eau ou au resto, dans la ville éclairée que nous traversons le lendemain, de thé à la menthe fraîche, de coriandre achetée sur le trottoir qui embaume la cuisine, de pain marocain.


Parfois on n'est pas d'accord, du tout, sur le monde, la vie, la SNCF, les intermittents ou le programme tv. Ce n'est pas si grave, il y a d'autres accords.

Et si tout le monde râle, alors que nous sommes trempés jusqu'aux os, que la pluie nous bat aux tempes, si tout le monde râle et moi un peu, parce que Sète attendra, et les poèmes aussi, je jubile de cette ville et de ces traditions d'été. D'arriver encore à se retrouver, même sans effusions.

Le soir Verte et R. sont là. C'est si évident, que j'oublie d'être triste, à l'idée que bientôt, ils seront loin à nouveau. Loin au point de ne pas pouvoir appeler au dernier moment pour dire « Ma sœur vient dans ta ville, le week-end prochain, je peux profiter de la voiture. » Loin, au point qu'il faudra calculer à quelle heure s'appeler. Loin au point qu'on peut encore dire « à l'autre bout du monde », cette expression d'un temps révolu ou le monde avait deux bouts, un sens, et des distances infranchissables. C'est si évident que je fais un thé à la menthe, et qu'on joue ensemble, avant que la nuit ne nous reprenne.

Le lendemain, je repars, mi-digue, mi-raison. Trop d'au-revoir à a fois. Une ville de poèmes qui attend non loin de là.


Amerrir à Sète, le long du canal, face à la colline, sous le soleil, pour se rappeler l'été dernier. Pour frétiller dans le présent du poème. Osciller entre les rencontres éditoriales, et la pure émotion, la langueur des hamacs et la balade avec mon homonyme. Tout se mélange, sous les rayons et l'ombre ourlée de ciel. Le goût de la menthe, le vert vibrant des feuilles, leur frémissement tranquille et les mots qui se perdent. Je rencontre de belles éditions, de beaux projets, de belles personnes. Par exemple, je vous propose d'aller voir ce que font la revue Souffles, les éditions Tipaza (chez qui on m'a fait découvert un presqu'inédit de Guillevic...), la diffusion de l'Oiseau Indigo. Et plus généralement, d'aller faire un tour sur le site du festival, pour tomber comme par magie sur des choses folles, surprenantes, enthousiasmantes.

Sète, c'est aussi parler de ce que cela veut dire, écrire de la poésie, éditer de la poésie, en temps de crise, en temps de guerre, au Liban ou en Italie. C'est la rencontre d'auteurs d'ici, d'ailleurs, d’Israël, de Palestine, de Slovénie et d'Oman.

C'est une lutte de chaque instant contre la malédiction de Babel. Les poèmes se lisent dans toutes les langues de la méditerranée. Chacun vient, la bouche pétrie différemment. Et pourtant, toujours, nous nous entendons. Les oreilles ravies à leur environnement familier se retournent sur les chants plus ou moins inconnus. Tout descend beaucoup plus loin que l'intelligence. Les silences sont les mêmes, au creux des vers sonores. A une couleur près. Les silences sont les tympans des poèmes. Les passages dans lesquels tout vient rebondir et se faufiler.

Avant de quitter Sète, je m'autorise une gourmandise en allant écouter Salah Stetié accompagné par Yassin Vassilis-Cherif au Nay. Il n'y a rien à en dire. Ça suffit pour avancer sur l'autoroute de nuit.


Quelques jours avec Verte et Archi, à Montpellier, et la chaleur de la proximité pour tenir au plein de l'hiver.



Une seule journée, à Voix Vives, et des dizaines de raisons de battre, encore. De battre de partout. De croire qu'il fait beau.  


lundi 14 juillet 2014

Soupir dernier, début juillet

Mes années se finissent deux fois.

Comme tout le monde, officiellement, le 31 décembre, si possible sans cotillon et sans boule de gui. Si possible, avec des écharpes dans le vent, une côte bretonne, une plage du sud, un pesto maison, ou un UNO agrémenté de vodka. 

Et puis, comme les enfants, début juillet. C'est le moment de boucler, de dire au revoir à ceux que l'on a côtoyé presque tous les jours pendant un an. De clore cette intense collaboration, soulagé, ému, attristé, repu ou frustré. 

C'est difficile, cette fin d'année. Elle est mitée de jours fériés, de jours fermés. Émaillée de corrections et d'examens, de surveillance et déjà, de cette vacance. De cette chose qui flotte, entre deux eaux, d'une langueur, des esprits ailleurs, des tensions qui naissent, du pédalage pédago. D'un cours à l'autre ne pas savoir qui sera là, ce qu'on pourra travailler. Ne pas savoir qui on ne va jamais revoir. Dans quel état errer, comment gérer. J'aime les fins nettes, tranchées, les au-revoir et les adieux clairs. La plupart reviendront dans ce même lieu l'année prochaine. Moi pas. Je les ai suivi pendant un an, j'ai ri, crisé, crié, soupiré, discuté, négocié, avancé, écouté, attendu, souri, blagué, face à eux. Ou plutôt avec eux. Et voilà que sans comprendre, n'importe comment, finalement, c'est terminé.

Je ne saurai pas ce qu'ils deviendront. Ce qu'il adviendra de ceux là, de celui qui a une plume prometteuse, de celui qui galère avec l'emploi du subjonctif, de celle qui passe les heures à attendre, sans comprendre, de celle qui s'est découvert une passion pour Victor Hugo. Ce qu'il restera de ces quatre heures de français avec Mme Blizar. Si ce sera un ennui, une colère, une injustice, une incompréhension. J'espère que ce sera un mot, une histoire, un texte, une question, un frémissement. J'espère, mais j'en doute, parfois, tant je me sens négative. Tellement j'ai l'impression de partager, avec ma passion des livres et du langage, mon angoisse et mon désarroi.

C'est difficile, de ne pas se dire au revoir, de le dire mal. De ne pas avoir le droit d'être un peu émotive et de leur souhaiter bonne route, de leur dire de prendre soin d'eux. Difficile de savoir que je suis une passante éternelle et que je ne les verrai pas grandir, même un peu. Difficile de ne pas pouvoir discuter autrement, un moment, avec les élèves avec qui j'ai été en opposition frontale. Difficile de ne pas remercier les enthousiastes pour avoir certains jours donné un sens à ma journée. Difficile de ne pas avoir le temps de dire aux timides qu'ils ont leur place et leur importance, malgré tout ce silence. Difficile de ne pas dire aux plumes en herbes de continuer à écrire et de m'envoyer leurs manuscrits. Difficile de ne pas rappeler à certains que "mauvais élève" n'est pas synonyme de "mauvaise personne", que ça ne maudit pas leur avenir, que ça ne change rien à l'estime qu'on peut leur porter. Leur rappeler aussi de faire tout ce qu'ils peuvent pour se donner la chance de choisir.

L'année est donc finie, n'importe comment, absurde, entre petits problèmes de santé, leurs absences et les miennes. L'année s'est finie, j'ai rendu les clés. Avec l'équipe des jeunes collègues qui s'en vont. Elle était chouette, cette équipe de jeunes, et si une nouvelle année nous avait été donnée, je crois que ça aurait envoyé du lourd, roxé du pâté. L'année est finie, avec la joie de l'espace temps offert, soudain ouvert, comme ça, un vendredi soir, inespéré et inouï. Avec la fatigue aussi de savoir qu'il faudra tout recommencer, encore, ailleurs, on ne sait pas où, avec qui. En 6è ou en terminale. A côté ou à 50 bornes. On essaye de ne pas y penser trop fort. On discute avec le chef-adj des affectations à l'étranger. On part sous la pluie, l'air de rien.

C'est juillet, et l'année a expiré, en silence, dans une cour trempée.



dimanche 1 juin 2014

Mai : couper court, plonger dans les carrés

Et le printemps s'étire pour toucher à sa fin.


Mais, Trois fois Lyon, à marcher, à parler. Trois fois Lyon, à moitié.
Aux prémices de mai, on a manifesté en retard, sans muguet, mais au ras des pâquerettes. On a marché avec S. C'était familier. Pourtant il y avait le malaise. L'impression de le faire, pour dire de l'avoir fait, pour un geste, ou une voix, même nasillarde ou éculée. Pour un semblant, désabusé, d'espoir, à chercher dans les coins. En rentrant, se promener. Et retrouver la Filleule pour un thé à la menthe bien sucré. Avant le louper le train, et d'attendre trois heures à une table de Café dans la nuit de la gare. C'était un premier "mais".
Au milieu du mois, au débotté, faire enfin l'expédition avec les copines-collègues de l'année d'avant. Flâner, monter à Fourvière, dire des bêtises au milieu des rosiers. Ne pas toujours savoir quoi se dire, mais s'apprécier quand même. Se promettre de recommencer. Sans bien savoir si ça se fera, mais trouver l'idée bien, pourquoi pas.
Un dimanche soir dans un week-end fourbi, aller voir S. dérouler le fil, jouer l'Ariane. Aller voir au delà des sarcasmes et de la fumée, la tragédie qui se toile. Etre emportée avec la folie des femmes qui détournent des métros ou deviennent des tueuses en série. Sentir rouvrir en soi le projet plein de loups et de louves qui dort depuis longtemps dans le carnet bleu que Verte m'a envoyé du Japon.
Mais trois fois Lyon, à avancer.


Mais, dans le retour au travail, il y avait des difficultés à contenir et à lancer, et faire travailler. S'énerver trop souvent, en perdre un peu sa voix, sa crédibilité. S'énerver trop souvent, mais savoir respirer, et se dire qu'on finira bien par y arriver. Qu'on fera autrement, mieux, la prochaine fois. Apprendre à couper court, à ne pas discuter. Ne pas céder, par fatigue ou par enthousiasme, par flemme ou par angoisse. Tenir la position.


Mais, le garçons aux capuches multicolores est arrivé, à la presqu'improviste. Il m'avait appelé, quelques jours avant, pour proposer de passer. Assez tôt pour se réjouir à l'avance. Assez tard pour avoir dans le corps la sensation sautillante des fêtes imprévues. Il y avait dans sa venue de la douleur et de la distance. Il y a eu dans ces jours tellement de mots. Des mots à la fumée de cigarette dans la petite cour et des mots au curry, des mots à la gaufre, des mots au café, des mots dans des magasins et sur des pavés, des mots au bord de l'eau, et des mots dans un recoin du bar à vin. Il y a avait toujours cette douleur, cette envie d'être ailleurs, mais au milieu des bleus, des pollens de douceurs, du moins je l'espère. Pour faire des pieds de nez au sort, on a fait des bulles, bu du Bourgogne à la paille dans des gobelets d'anniversaire, fait des jeux de mots débiles, et visité la ville avec une manifestation. On a regardé le drapeau CGT en face de la plaque Rue de la Banque. C'est un garçon à belles discussions. Un sacré mystère, les souterrains de la vie qui mènent d'un trottoir du hasard vers le Turk's Head à ces discussions là. On s'est rencontrés dans la rue, et il a fallu du temps pour mettre les armures au placard, se découvrir un peu, se parler pour de vrai. Il a fallu du temps, quelques villes d'Europe, de l'humour très noir, un peu de pluie, et des chemins de nuit. A., il a la douceur mi-petit beurre mi-speculoos. Quelque chose de fondant et de pétillant, de sa petite tête endormie à ses grands éclats de rire. Il sait écouter comme personne. Ce ne sont que des bribes de la beauté d'A. Ca fait cliché mais c'est si vrai, c'est un ami, un grand A. Mais la gare arrive au matin. En repartir sans avoir pris le train, c'est toujours étrange. Je passe dans les petites rues du soleil plein la vue. La lumière, et le vent, au matin dns la ville, ça lasse les yeux humides. C'était bien.


Mais fin de semaine affolée dans la copropriété. Connaître les voisins autrement qu'en se croisant dans le couloir ou qu'en descendant les poubelles. Parler de Grèce antique, boire de la chartreuse. Finir par mettre une chaise et une lanterne dans la cour. Appartenir aux lieux, un peu plus. S'approcher des gens un peu mieux. 
Mais le lendemain, il y a des portes grandes ouvertes et des yeux mi-clos. Le samedi, au boulot, des soupirs plein le corps. A défaut de motivation, parler longuement avec les collègues de Lettres, dire des bêtises et des pas-bêtises. Parler de livres, faire comme si je n'étais pas du tout ivre. Penser subitement qu'il sera dur de devoir tout recommencer ailleurs à l'automne. Penser qu'il y a des gens, peut-être que j'aimerais bien revoir, même dans les vies d'après. Et si je dois filer au lieu d'aller prendre le soleil dans le jardin de Ma-A, il semble que ce n'est que partie remise, encore une fois

Mais, aller dans le midi, vers ceux qui attendent. Dans cette maison d'aïeule, il y a un puit en pierre, et une grande cour. Les outils sont tordus, ont été façonnés avant la standardisation. N'ont jamais connu le plastique et les caisses de Mr Bricolage. Le métal pousse joyeusement sa rouille. Le bois se déforme sous le vent. Les peintures s'écaillent. Il y a de larges pièces vides. Une écurie, une porcherie. Un four écroulé où quelques poules ont habité. Il y a un escalier bancal, dehors, vers le grenier. Le portail bleu porte toujours une plaque de fer où s'étale en lettres calligraphiées le nom de jeune fille de ma grand-mère. Est-ce pour ne pas oublier qu'ici, des générations de chardons ont vécu et que nous avons déserté ?  C'est pas souvent qu'on est tous là. Presque, sauf le frère et la très belle soeur qui s'écossent encore. Il y a ce bruit des enfants surexcités d'être réunis, les trottinettes qui claquent, les jeux qui prennent le soleil. Il y a la petite Nomn, avec ses airs d'adulte qui dit "au revoir messieurs dames" en entrant par la porte en bois. Ela. grandit outrageusement, longiligne, coquette. On sent les premières épines de l'adolescence quand son père la taquine. Ron se jette avec fulgurance dans chacun de ces instants. Et Jul me parait insaisissable entre ses yeux malicieux et son calme sérieux. Chanter les petites grenouilles de Mélie et se cogner au son des artifices craquants et frétillants. Promettre des boucles d'oreilles et des visites pour que ce soit plus facile, de partir.


Mais, je ne l'ai pas vu filer. C'était comme des morceaux d'été, comme rouler dans le bleu et dans le jaune, avec la main au dehors, pour pendre les vagues de vent. Avec cette odeur des cheveux, plus clairs, enfourchés de rayons.

Mai, il parait. Je crois que c'était mai.