jeudi 28 août 2014

F-estival #2 - A la rue

Quitté à regret les poèmes de Sète qui séchaient au soleil. Le lendemain, il y avait un rendez-vous pas très drôle. Pas grave non plus, mais nécessaire. Et un deuxième pour le surlendemain. J'ai fait les allers-retours sous les rayons lourds de juillet, seule, comme une grande.


Quand je suis revenue, une ville avait changé. Il y avait des affiches partout, de gros points-repère rose, des écoles renommées et des specta-touristes en goguette. Aux terrasses des cafés, des artistes et des techniciens discutant du statut de l’intermittence. C'était comme si tout était déguisé ou révélé.

J'avais déjà vu la ville en costume de festival. La toute première fois que j'étais venu, pour les toutes premières vacances entre amis, c'était déjà dans le théâtre, en juillet. Bien sur que c'est étrange, de redécouvrir les dix-sept ans sous la ville de l'âge adulte. De fredonner "Romocheva", sur le quai où l'on ne peut plus circuler.

Il reste quelques trucs à faire avant de retrouver la filleule de Kh. Mais, en passant vers le centre nerveux du festival, c'est pile sur elle que je tombe, et sur ses parents. Les petites coïncidences qui donnent un sens, même factice, aux lieux que l'on parcourt.

J'attends ensuite V. et M., deux oiseaux de passage, par hasard, pour autre chose. Ma filleule, Violette, nous rejoint. Et finalement, la première soirée de festival se passera hors festival, à manger indien-végétarien et à errer dans les rues envahies de spectacles off-du-off-du-off. C'est une soirée à la fois étrange et facile, au milieu des traces d'un quotidien en robe d'apparat et en détritus de foule.

Le lendemain, déjà, il faut se dire au-voir avec V. et M. Violette part à l'assaut de la ville, et moi j'attends, en essayant d'attraper un peu de calme. Il y a toujours ce sentiment très ambigu, à la veille des semaines serrées d'amis, étouffées de gens et de choses à voir, qui pendule entre la joie pure, l'excitation, et la crainte de ne plus respirer, de me sentir pressée, op-pressée.


Je m'élance tout de même dans le ville, seule d'abord, l'appareil photo à la main. Pour réapprendre à voir, pour apprivoiser, frôler des yeux, admirer un peu les endroits usés de semelles. L'appareil est mal réglé, il faudra s'en occuper. Mais tant pis, pour cette fois, cela suffira. Regarder le monde un peu plus flou.

Ce jour-là, peu de spectacles. Beaucoup de grèves et de conversations. C'est difficile, et pourtant, il y a quelque chose de très beau dans ce programme édenté, dans le calme saturé de monde qui se contente de marcher et de discuter, dans les itinéraires invraisemblables et les piétinements des débats. Les compagnies viennent tenir leur rendez-vous, expliquer la grève, discuter. Un chœur de femme, en civil, chante "Bella Ciao" sous un soleil de plomb au lieu du spectacle prévu. Les gens autour chantonnent, hument, sifflotent. Les applaudissements sont nourris, un peu fébriles et émus. Cela rend bien l'ambiance de cette ville en festival et en attente, des gens qui marchent vers des spectacles qui n'auront pas lieu et qui n'en prennent pas ombrage. Je suis soulagée de ce soutien palpable, tangible.

Au bout du fil, il y a la famille qui doit arriver, qui viendra en deux groupes malgré les cailloux dans la machine. Le frère et Lia d'abord, que je guide dans les rues mal connues. Puis T&A, qui arrivent dans la petite cour du musée. Les groupes se font et se défont. On voit le meilleur, et le moins meilleur. Des ovnis qui réussissent à nous emmener. Plantés debout, avec les pieds écrasés, à rire. La fatigue tombe peu à peu. Les rues de nuit, étoilées de monde. On rentre camper à l'intérieur. Il y a la petite lumière et un matelas bleu à côté de celui du frère et de Lia. Des mots de bêtise, des douceurs, comme devant la table du petit déjeuner, que l'on déserte pour aller voir les Souffleurs, immobiles, veiller sur la ville. En terrasse, avec un café, au soleil, et les Souffleurs qui veillent.

Vadrouiller au gré des écoles peinturlurées, au soleil, dans cette lenteur joyeuse des groupes qui doivent prendre des décisions. Et maintenant, quel spectacle ?


Deux histoires de migrants. Une déambulation et un cercle.  Jusqu'au soir, vers la cour où, en rond, se jouent les lignes frontalières qui déchirent les mondes. Les imperméabilités à sens unique. Les mobilités pointillères. En traversant la rivière, cela fait débat. Sont venus nous rejoindre Fr. et Bou, leur sourire et leur sac en bandoulière. Se demander ce qu'est l'intérêt d'un spectacle, d'une oeuvre d'art, ce qu'on en attend, tout ça devant un hot dog, sur les tables poisseuses qui font tout le charme des fêtes en plein air. John-et-Pluto-er, encore, ne pas toujours être raccord. Et puis laisser les familiers reprendre la route, un peu à contre-coeur.

Se voir à demeure, et se sentir ailleurs.

On reste tous les trois comme des points de suspension.



Il y a des cirques prometteurs et décevants, s'avoue-t-on en pouffant notre ennui. Se barrer en riant, dans les artères d'ombre, éclairés à demi. Illuminés aussi. On attendra les tambours sous la pluie. Le feu des percussions, le rythme des artifices, que l'on suit, aveuglément. Les enfers déchaînées. Les pudeurs décharnées. Quand ça frappe trop fort contre la peau, que tout devient heureusement rugueux.

La nuit, je sens comme aux soirs des Noël de l'enfance. Cette même envie d'engloutir la nuit et le sommeil, les rêves, pêle-mêle, parce que c'était bon, cette journée, et que le lendemain promet de l'être tout autant.

Compter presque les pas, sur le chemin de la gare. Ce chemin du matin, celui des petits départs, en douce, dans la ville qui baille aux abeilles. Sur le quai, soudain, près du machin d'attente en plexiglas, Clo. arrive. On ne s'est pas vues depuis plus de trois ans. Et la voilà, avec son sac de couchage rose vif et ses cheveux noirs-mais-rose-ce-serait-chouette. Sur ce chemin-de-la-gare-du-matin, qui dans le sens inverse fait un peu mal aux yeux, en bien, les mots s'ouvrent avec une certaine évidence. Et-vit-danse. Dense?


Puis, dans l'appartement où nous déjeunons, avec Bouh, Fr. et Clo, voilà la belle Lu, qui arrive avec les croissants, avec sa robe légère et son regard rieur. On est un peu étonn-é-mu, d'être ici, parce que cette fameuse première fois de festival entre amis, c'était avec Bouh, Fr. et Lu. Et si on m'avait dit qu'on se retrouverait dans ce lieu là, là, beaucoup plus tard... Il y avait une place de libre, inoccupée, à la table et dans nos esprits, pour Celar, au travail, pour un autre festival (histoire à venir), qui manquait, nous manquait.

On a vu des choses bouleversantes, renversantes, poétiques, amusantes, poignantes, questionnantes, évidentes, ardentes, hystérisantes, élégantes, fines, décevantes ou encore terrassantes. A deux reprises, nous sommes tous sonnés, d'un coup de poing, par la grâce, qui nous laisse ébahis, et d'accord tout à fait, émerveillés et touchés. Et ce n'est pas rien.


A côté des spectacles, on a dit des mojitos et bu des paroles, beaucoup. Des bêtises. Des non-bêtises. . Des nourritures de l'esprit, des nourritures terrestres, c'était comme céleste et à la fois terrien. C'était évident et facile, la vie tous les cinq. Il suffit, quand il pleut, de se replier à Jumiège. Ces heures-là ont le goût des gaufres liégeoises qui collent aux doigts dans la nuit et de la menthe qui se fait rare. 

Tellement simple que quand on ramène No, on ferme les écoutilles forts pour ne pas pleurer, comme quand on était ados et qu'on se quittait dans les gares sans bien savoir quand on allait se retrouver. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vue ou presque. Je me dis que bientôt, c'est moi qui prendrai le train pour aller la voir. Avec ceux qui restent, on refuse de se quitter le dimanche. 

C'est tout le luxe qu'il nous faut, décider au dernier moment que finalement, non, on se quittera lundi, après avoir bu, et joué, alors qu'il fait gris, et que la ville, toute nettoyée, avait repris son tailleur de pluie comme si rien ne s'était passé.

Je ne sais pas comment fait la rue. Moi j'en reste toute retournée.


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