samedi 30 novembre 2013

Carpe Diem - novembre au jardin mort.

Voilà ce qu'on se dit toujours au détour d'une nuit de dîner, de discussion, de vins, et de musique. Il faut profiter de la vie. Lors de ce voyage, pas d'exception. La discussion s'est portée un soir tard sur cette volonté de "profiter de la vie". Fidèle à moi même, je me suis emparée de la discussion à des fins hautement égocentrées, et me voilà, à débiter tout haut des trucs que je me dis tout bas de manière chronique, comme d'autre ont le nez qui coule. Avec une légère sensation de malaise, sans savoir si cela émane de ceux qui m'écoutent douter à pleine voix, ou de moi, de la conscience qu'il faudrait arrêter de faire ça.

Cette histoire de "profiter de la vie", de cueillir le jour, les roses de la vie, et tout le toutim, on cite Ronsard, le Cercle des poètes disparus, on en a tous une image précise, mais il me semble aussi une représentation collective. Souvent : faire des expériences, voir le monde, voir du monde, rencontrer des tonnes de gens, faire des tas de choses, des plus futiles aux plus profondes, des tournées des pubs aux tours du monde, tomber amoureux, tomber de haut, s'enlacer, se quitter, goûter des bras, goûter quelques tracas, faire des conneries au passage, sauver une personne, en sauver cent, changer de vie et changer le monde, bouger sans cesse, apprendre trois millions de choses, du lingala au codage java. Créer des oeuvres d'art et des opportunités. Ne pas tomber dans la routine. "On dormira plus tard". 

Ils (ceux de l'erasmus et les autres aussi) sont extraordinaires, chacun à leur manière. Ils ont ce truc qui donne envie d'écarquiller les yeux en disant "c'est fou !". Ils ont du talent, certes dans leurs passions, emplois, relations, mais plus généralement, ils ont du talent pour la vie. Oh, oui, je sais une partie de leurs doutes, de leurs grandes incertitudes, de leur confiance vacillante. Il y a les gros coups durs. Ils connaissent l'ennui, la fatigue, l'impression de ne pas être à la hauteur. Mais bon sang, ils osent, ils prennent leurs corps pleins de bleus, et ils y vont. Ils acceptent, ils prennent, ils font. Ils font quelque chose de ce qu'ils sont avec leurs eraflures et leurs supensions, leurs points d'interrogation. Ils portent tout ça, ça fait des bouquets, des roues, des pas, des chansons. Et au delà de toute ma tendresse, qui n'a rien à voir avec quelques motifs explicables sur une note de blog dépressive, il y a une forme d'admiration. D'autant plus que je commence à connaître des choses au delà des façades et qu'ils ne m'en impressionnent que plus. 

Alors, quand ce soir là, dans une maison de brique, "profiter de la vie" vient sur le tapis, je suis trop émue pour savoir me taire. Car oui, il faut bien le dire, ma vie est à mille lieues de celles que je vous ai décrites plus hauts. Sans pleurnicher, ou me plaindre, c'est comme ça. J'ai essayé, parfois, mais ça tiraille, ça n'est pas moi. J'ai besoin trop souvent d'être en dehors du monde. De calme, de silence et de solitude. J'ai besoin de beaucoup d'immobilité aussi.  Il me faut une grotte, une voute. Et pourtant, cette envie de profiter de la vie me tenaille.

Pourtant, à côté des colliers de complexes, des guirlandes de doutes, de l'estime qui trébuche et finit par abdiquer ou de la confiance découpée en confettis, il y avait paradoxalement la sensation que quelque chose de plus grand que moi, plus beau que moi traversait mes torrents intérieurs. Comme s'il y avait sous la surface ennuyeuse des remous dont personne ne pouvait mesurer la passion, la violence, la diversité. Il y a toutes les choses inracontables, puissantes, que je cache derrière les plis de mes lèvres, derrière ceux de mon ventre. Toutes les choses que je ne dirai ni ici ni ailleurs parce qu'elles n'ont besoin d'aucun regard pour exister. Il y a aussi le petit supplément de présence que j'ajoute à mes gestes quand personne ne regarde pour en faire des pas de danse. Les petit supplément de souffle que j'ajoute à mes mots quand personne n'écoute, pour en faire un chant.  Il y a cette faim, cette envie, cette dévoration qui me faisait dire sans trop en douter, "oui, je profite de la vie".

Mais les questions prennent d’assaut même les forteresses intérieures de pierre, construites patiemment et consolidées avec soin. 

Est-ce qu'on peut vivre de l'intérieur, pleinement ? Est-ce qu'on peut partager en écrivant ? Est-ce qu'on peut n'être ni drôle, ni original, ni passionnant ? N'avoir rien à répondre aux "quoi de neuf" que des anecdotes sur l'alcoolisme collégien ?  Est-ce que c'est un manque de courage ? Est-ce que c'est un défaut de volonté ? Est-ce que le calme est nécessairement une inertie ? Est-ce qu'on peut profiter intensément d'une vie dont tout le monde ferait le contre exemple de "profiter de la vie" ? 

Il y a pourtant ces messages d'inconnus sur twitter, qui parlent des vies de Bataille et d'Artaud et du contraste entre la vie tranquille et sérieuse du dehors  et "la rage de la vie au dedans". Déjà, je respire un peu mieux. 

Et puis il y a Cela qui change dans la vie de certains. Il y a ma joie sincère à les écouter me raconter ce truc si exotique. A les voir dans leur rayonnement. A les sentir profondément exaltés et pourtant apaisés. Mais il y a parfois une lame inconsciente qui traine et qui vient me frapper quand je ne m'y attends pas. "Tu ne peux pas t'imaginer", ou bien "Tu verras". Et si je ne vois pas, et si je n'imagine jamais ? Est-ce que c'est si grave ? Est-ce que ça voudrait dire que j'aurais tout loupé? Est-ce que la vie peut avoir un sens et une valeur sans ça ? Si vous me croisez et me posez la question, je dirai haut et fort, que oui, que c'est un choix. Mais dans les fondations il y a un tremblement. J'essaye de retrouver ce truc un peu plus grand et un peu plus beau que je pensais avoir. Et puis ces trucs clichés, une foi, une confiance, un espoir. Pour le moment, je creuse, je trouve pas grand chose. Une superficialité redoutable. En dessous plus rien ne tient, ni la certitude d'avoir un peu raison, ni celle de pouvoir changer. Il n'y a que la peau sur les os, et ... pour combler les vides. 

On me répond/ra/rait qu'il y a l'écriture, qu'il y a l'enseignement, qu'il y a les gens qui m'aiment. Qu'il y a ... . 

Est-ce que ça fait une vie, tout ça ? 
Une vraie, qu'on peut tenir dans les mains, qui crame un peu les doigts, mais les accueille pourtant, une vraie, comme la tasse ronde de terre rouge, un peu rugueuse dans ses petits ratés. 
Est-ce que la contemplation c'est encore la vie ? 

1 commentaire:

Les yeux verts a dit…


Continue de jouer petite,
Mon enfant, mon insolite,
La tendresse protège du froid.
Et si le chagrin s'escorte, nous lui fermerons la porte,
Sois rebelle et montre le du doigt.