Dans le noir
MC (notre Master of Ceremony) nous propose de passer, pour commencer, quelques minutes dans le noir, en silence. Et puis, on rallume, et on écrit.
Noir c'est noir. Noir c'est, noire soeur .
.
Trop facile. Se reprendre.
Noir c'est... pas vraiment. Je vois toujours la feuille devant comme une tâche de lumière. La main pour vérifier. Oui, du papier.
Noir, quand même. Noir c'est dense, doux, velouté. L'encre du stylo pareille pour écrire des choses que l'on ne lira pas.
Noir c'est espace changé. Les distances. Pfiut. Bouleversées. Noir, c'est plus proche et plus loin à la fois.
Noir c'est poèmes, qui me reviennent. Celui de Cadou appris hier. Essayer de se souvenir. "La route, / Les grands airs, / Ceux qui vivent à coeur ouvert, / Le temps qui passe / Un peu de ciel au fond des tasses" Blanc Trou noir. Perte de mémoire.
Noir, c'est. Penser à Yoda. Noir il fait. T'es con, Junon.
Noir c'est respirations soudain entendues. Déglutitions et corps qui reposent.
Noir c'est maison, accueil, et quelques idées parfois ; c'est amour de la nuit.
Noir c'est Guillevic qui me chuchote, encore "Je connais l'étrange / Variété du noir / Qui a nom Lumière"
Les Photographies de C.
Ce soir là, nous accueillons C., une photographe. Elles sont disposées autour de la pièce et chacun va s'inspirer y puiser poèmes et histoires. Je suis accrochée par les reflets et les ombres, par les failles. Je reste prise devant un polyptyque de ruines. Une porte bleue ébréchée en particulier, et une fenêtre sans vitre. J'y trouve un triptyque de presque-poèmes
1.Installer des portes
Des charnières, des loquets
Des poignées, des serrures,
Des clous, des planches,
Installer des volets
Des montants, des vitres,
Des mécanismes, des rideaux
Du bois, du verre, du métal, du tissu
De la ferraille
Tout bien fermer.
Quand l'air arrive
S'apercevoir que rien n'est étanche
Qu'on s'ébrèche comme rien
Sous le temps et le vent
On arrive toujours à rentrer.
[Rappelez-moi, jamais, jamais de PVC]
2. Bleu à cicatrices
éraflé, bousculé
tailladé de poussière
griffé
défiguré, dépoitraillé
Bleu à cicatrices
contenu entre les pierres,
la route, le sol, les murs qui l'empêchent de déferler.
Bleu à coutures
rapiécé de vert
cousu de fer
tenu ou enfermé par un corset de dalles
ces complices du temps
qui s'acharne à cogner
sans qu'on puisse s'enfuir
Bleu barré, tiré, cassé
mais bien là
ostensible
Bleu océanique
azuré, idéal
Bleu d'opale
Bleu fondu en son centre
Porte bleue
bleu à portée de ciel
rugueux
élémentaire
Bleu au corps
blessé
Bleu outre-terre
Bleu outre-âge
qui s'impose fulgurant
au delà des fissures
Et qui tient
Et qui porte.
3. Tu devrais fermer la fenêtre
Dit-il
Tu devrais fermer la fenêtre
Car dehors
il fait froid
il pleut, il vente, il trempe
il neige et il tempête
Car dehors
rodent des loups
des hyènes, des requins
pleins de dentiers, de canines
Car dehors rodent des ogres,
des nuits, des peurs,
des autres,
des inconnus.
J'ai fermé la fenêtre,
en haussant les épaules.
Elle n'avait pas de vitre,
et la porte, pas de clé.
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