dimanche 16 mars 2014

Ecosser les peurs et les mots #1

En attendant un peu à l'arrêt, j'ai fini par monter dans un avion pour aller prendre l'air, voir ailleurs (si j'y étais), retrouver les très chers. Avec cette excitation des départs, ces petits suspens ferroviaires (un seul train peut me permettre d'arriver assez tôt à l’aéroport... oh, il est annoncé avec du retard...) qui font battre les tempes. Autant que la peur d'avoir oublié son passeport. Autant que la perspective de se voir. Autant que la disparition de l'appareil photo, la dernière fois dans le même aéroport. Autant que le décollage. Autant que tout ce qui pogote en dedans.


Je disais que les aubes et la beauté, ces deux dernières années, m'avaient sauvé la vie (oui oui). Les voyages aussi. 

Quand on en vient à se demander si l'on est encore vivant, si on n'a pas subrepticement glissé du côté de la respiration artificielle et des veines en plastiques, rien de tel que le dépaysement pour vérifier que non, ce n'est pas encore un pacemaker qui mène les jours. Rien de tel non plus pour se sentir perdu à juste titre. Pour déculpabiliser d'être chamboulé, questionné. Etre ailleurs, et avoir soudain raison de s'emmêler les mains dans les sacs, de s'emmêler les mots entre les langues, de s'emmêler les heures, la droite et la gauche, et de se prendre les pieds dans les marches. 


Alors voilà, je suis arrivée à Edimbourgh, en fin de matinée. J'avais déjà rencontré un scottish buddy vers le tableau d'affichage du hall. Je me suis callée dans un Airlink, en haut, sur la place devant la fenêtre, avec les Babyshambles dans les oreilles. Il faisait beau, ça faisait mal aux yeux, ça, tout juste, c'était bon. Ce trajet à regarder le soleil dans les yeux, à les frotter sur les murs, les pierres noircies et les maisons basses, sur les rebonds de la ville et le fond de ses creux. J'avalais tout ensemble, les petites échoppes et les magasins criards. Déjà là, l'Erasmus est venu me filer quelques coups dans la poitrine : les enseignes Tesco, HMV, les agences de paris sportifs, j'avais presqu'oublié, jusqu'à là. L'autre vie de l'Erasmus, la plus forte, celle de tous les jours. Au bout du bus, il y avait le frère, qui m'attendait.


La ville s'est déroulée sous nos pas, sous nos mots sans interruptions, oscillant entre les préoccupations quotidiennes et visiteuses. Entre une couette à acheter, des doigts pointés vers les lieux ayant inspirés Harry Potter, des bâtiments pour les cours et pour la bibine, des questions d'éthno et de socio, d'enseignement, et des bâtiments monumentaux. On a attendu qu'A. rentre, et la fête était complète. Dans les jours qui ont suivi, dans la ville, toujours ces mots, ces lieux, leur vie ici et mes pas de promeneuse, entre les nourritures denses et les jambes légères. Des bières, forcément, dans des lieux où je me sentais comme un poisson dans la Smithwicks. Des épisodes de Malcolm. Du sommeil, un peu de froid, quelques grandes discussions et des histoires de fantômes.


Après avoir rendu le minimonstruck (histoire à venir bientôt), alors qu'il était trop tard pour que le frère rejoigne son cours, on est revenu dans la ville, sous le soleil horizontal. On s'est arrêté au Tesco, pour faire des emplettes surprises pour le soir, avec A. Et là, au milieu du supermarché, voilà le déchirement entre les sautillements de jambes "Ooooh, vas-y, les penguins !" et une étrange nostalgie "tu te rappelles, les penguins ?". C'est con, je n'aime ni la nostalgie, ni les supermarchés, mais ce que ça m'a soudain ému, les rangées de boites de conserves et de pain de mie, les cheddars en plastique, les paquets de chips géants et les allées de cookies. Tous les trucs que j'ai jamais achetés mais qui faisaient partie de cet étrange quotidien. Je me suis sentie loin. Empêtrée dans le présent, avec une soif inextinguible du futur et un mouvement involontaire vers le passé. Comme tous les vieux cons, à demander comment je suis arrivée en cinq ans, d'un tesco à l'autre. J'aurais eu envie de m'asseoir par terre, et de refuser de revenir à la vie qu'il faut gagner. Je voulais juste la vie qu'on peut disperser, dépenser, claquer entre les doigts.


Dans la ville j'ai marché, seule, avec eux. On a eu la pluie, il a dit que c'était ma malédiction. Et ça se peut. Mais il y a eu l'après-midi, avec les carnets et le soleil qui tape sur les vitres des bus et mes yeux hibernants. Il y a eu les parcs et les pierres, et la bière, et la vie, la vie, sans apprêt ni limites. Oui, d'une certaine manière, la grande ville et la grande vie. La tête hors de l'eau à respirer autre chose. A Édimbourg, vouloir écrire, vouloir goûter, vouloir grimper, vouloir marcher. A Edimbourg, savoir le faire. Se gorger sans vergogne des grands espaces-temps et des perspectives au delà des persiennes. Ecosser les peurs et les mots, arriver aux envies. 

A Edimbourg, vouloir à nouveau la grande vie.










1 commentaire:

Super Market !!! a dit…

Comment ça tu n'aimes pas les supermarchés?! Le merveilleux anonymat des supermarchés qui te permet d'acheter de la v*seline et des pots de mini b*tes à loisir / foison !
Bigouxxx ^^