"V'la l'bon vent, v'la l'joli vent, v'la l'bon vent ma mie m'appelle..."
Dans la tête j'ai le mot PRINTEMPS écrit en grand et des chansons qui poussent si fort qu'elles passent le seuil des lèvres. J'ai l'odeur de l'herbe coupée fraichement collée aux narines - celle de la première tonte, quand l'herbe est haute et grasse. Dehors, il y a des oiseaux qui pépient. La nuit, dans le grand silence du voisinage, on peut regarder les étoiles. Je me dis depuis deux ans que je vais enfin sortir le livret sur le repérage des constellations selon les saisons et puis j'oublie. Mais je continue de dire à haute voix "C'est dingue comme on voit les étoiles" et de les regarder.
Dans la tête j'ai le mot PRINTEMPS écrit en grand, et puis un immense gâchis d'encre embrouillé, un sac d'angoisse. Le vase trop plein et la vase qui déborde. Une grosse goutte qui lance la vague, des larmes rondes et des hoquets dans la gorge enlacée de nœuds très serrés. Quelque chose me tient en joue, à distance, m'écarte du droit chemin, l'évidence me braque et après avoir tenu (bon je sais pas, mais tenu), il faut bien se rendre. Se rendre à l'évidence.
Ce n'est plus possible. Plus vivable.
Il faut s'arrêter.
Cela va prendre du temps.
Alors, j'apprends, une évidence à la fois. Dix, quinze, vingt fois. J'apprends ce que c'est, n'en plus pouvoir, j''apprends qu'on ne tient pas éternellement en mode survie professionnelle. La panique mêlée de soulagement. Le soulagement qui appelle la panique quand la main ne décrispe pas au bout d'une, deux, trois semaines, et les cauchemars qui reviennent comme si c'était hier, comme si j'allais y retourner demain.
Dans la tête, j'ai un grand point d'interrogation à côté du mot PRINTEMPS. Ce sera quoi, la suite ? Comment on se sort de ça ? Et après, on fait quoi ? On vit comment ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui compte, pour moi ? J'ai beaucoup de réponses et aucune sur laquelle m'appuyer. Elle me dit qu'il faut arrêter de se torturer à chercher des réponses immédiates. S'arrêter, prendre du temps, vous vous souvenez ? Revenir au présent.
Revenir au printemps.
Au soleil qui joue avec nos jours, aux gâteaux dans le four, aux cartons dans la maison et aux bouquins qui me tombent entre les mains.
Dans la tête, j'ai le mot PRINTEMPS qui oscille et tremble, comme une flamme. Et si le gris le fauche parfois, la lumière citron étire ses lettres en grand, au couchant, juste derrière le pré, derrière la route déserte.
Dans la tête j'ai le mot PRINTEMPS, écrit en grand. Et le mot PRESENT qui s'approche, timidement.