mercredi 23 septembre 2015

A l'atelier #3 : Mona

Septembre.
J'aimerais vous raconter Août, la suite de la Méditerranée, la Chartreuse, la Belgique et les visites des chers du bout du monde. J'aimerais vous raconter les gens, les repas, les balades, le vert et la pierre, le train, les beautés.
Et puis vous raconter Septembre, la rentrée, nouveau bahut, déménager, nouveau chahut. Comment j'ai quitté la rue d'Or, un matin, aidée des proches d'ici. Comme je m'installe rue de l'Ambroisie.
Mais pour le moment, impossible. Alors, à la place, voici un texte d'atelier. C'était il y a peu, le premier de l'année. Je rejoignais un groupe encore inconnu, constitué depuis longtemps, dans un incroyable appartement rempli des tableaux de S. Nous sommes partis de là, de la peinture. Il y a un portrait qui m'a frappé. Ce qui suit, c'est ce que j'y ai vu.


Mona marche, Mona rit
Mona hausse ses idées et danse du sourcil
Mona lutte, parfois, Mona sourit
Mona roussit au soleil
Mona flambe, comme les prix
Mona belle, Mona maudit
Mona chante sous l'orage
Mona randonne dans sa robe blanche, celle des nuits
Mona ribambelle
Mona marie

Mona ne monnaye que l'oubli

Sa lippe frise, son œil s'ourle de la grâce qui pointe sous les déchirures
Son coup de poing, c'est un baiser sur les maxillaires
C'est une larme dans le puits
Et ses bleus, elle les océan, elle les vague, elle les iris elle les lavande
Ses bleus elle n'en rougit pas

Mona regarde, et surtout Mona voit
Mona bataille jusqu'à la pointe de ses épis
Mona coquelicot au coin des joues
Mona déconne, Mona décrépit

Sa peau, elle la porte, elle la lève, vous la tend comme un calicot
Son sang, elle le sève
Ses tempes lui battent jusqu'aux lèvres
Ses yeux
Mona détourne, Mona esquive
Mona écoute nos lâchetés, nos dérobades sans juger de notre bravoure
Sans rire de nos mascarades

Mona ne maquille que l'oubli

Mona, sans fard et sans sans paupière pour ignorer les cris que l'on pousse sous ses fenêtres
Mona morose, quelquefois
Mona pâlit

Mona ne minaude jamais, même pas pour séduire l'oubli

Mona cicatrice Mona couture
Mona défile les armures et les digues
Mona parle peu, ses phrases c'est comme un tricot
Elles grattent, elles inconfortent, elles tiennent chaud
Mona m'aime, pense Domi
Mona ne le lui dira pas

Mona présent
Mona verticale et sincère
Mona se tord sous sa droiture
Mona défie les armatures
Mona, un grain, disent les ignares
Mona vente et Mona pleut
Mona ne ploie pas souvent mais ne rompt pas pour autant
Mona d'ailleurs, Mona ici
Main tenant fermement sa vie

Mona. Silence.

Elle suffit.

samedi 5 septembre 2015

La joie et les oeillets

Juillet ce fut un festival. Une fête. Une vraie fête, à la fois rituel, festin et célébration.
Avec un peu de désordre dans les dates et dans les impressions. Grisée de routes emmêlées comme des fils de laine. 

Sur la route de Bazoches, écluser la fatigue. Je regarde envieuse les gens qui savent se plonger dans l'ouverture des vacances, tout d'un trait, et prendre leur souffle en grand, les dents à l'air, immédiatement. Je laisse les nerfs claquer entre les collines de Bourgogne. Le vert les reçoit sans animosité, et me les rapporte, se faisant au passage une place au creux de l'iris. J'ai l'impression de le respirer, ce vert. Le soleil presse pourtant et je rejoins les lectures, d'abord installée dehors, contre le mur de l'église. Ce qu'il y a d'inattendu dans la fatigue c'est qu'elle peut nous enclaver comme nous laisser les portes grandes ouvertes, à se laisser aller sans plus rien refuser. Alors je me suis laissée vaquer dans les mots de Michel Bourçon puis de Patrick Beurard-Valdoye. Les images sont entrées sans avoir besoin de frapper. Les sons on battu librement les temps. Traversée par les poèmes. Par contre, je sens mon esprit se cabrer devant la performance du dimanche après-midi. Tout s'est temporairement refermé et a attendu, à l'intérieur. Devant les beaux livres des éditions Potentille, je rencontre une femme qui pourrait être une aïeule. Je veux dire, vraiment, on se rencontre. De manière immédiate et forte. On s'ouvre des fenêtres, en attendant les portes. On se re-trouvera, forcément. 



Aller-Retour à Vézelay, "Je ne crois pas en Dieu mais j'aime les églises" écrivait Dimey. Je suis souvent plus partagée, mais il est sûr que j'aime incroyablement cette basilique. C'est à l'intérieur qu'on a l'impression d'être submergé de lumière. Tout le dit dans cette pierre blanche, dans la fraîcheur de la crypte, et dans l'incroyable mélange du roman et du gothique. Je me rappelle une discussion avec le frère lors de notre visite, deux ans plus tôt : "Pourquoi tu mets un cierge alors que tu te dis athée ?" J'ai essayé de lui expliquer et à moi en même temps. Le sacré sans dieu, le sacre qui est à la fois séparation et couronnement, sacrifice et sacralisation. Difficile d'expliquer que je vis sans la présence d'une divinité mais qu'il y a quand même des choses "sacrées". Ce sont de petites choses. Des gestes auxquels je donne un surplus de conscience et d'attention, des objets qui revêtent un sens particulier. Des rites minuscules, parfois fluctuants (oui, c'est contradictoire) sans impératif catégorique, aucun sens intrinsèque, mais que je suis ou me donne avec jubilation. A ce moment là, ajouter de la lumière à la lumière, ce fut évident. Et peu m'importe comment ce cierge est perçu de l'extérieur. Cette année pas de cierge, mais des murmures laissés dans les allées. 




Voiture à l'arrêt, vers chez moi. Sandilla revenait de son année en Amérique du Sud, à apprendre comment on fait pour respirer même quand l'oxygène se fait plus rare. De son année à se surprendre en découvrant que le verbe pouvoir se conjugue  à l'infini. De son année à gravir des montagnes, à regarder les choses depuis un peu plus haut et plus loin, à affronter la solitude des déserts de sel. Clo nous a retrouvées pour fêter ensemble l'espace ouvert. Pour ne pas perdre ce qui s'était créé, un jour, sur la table de la cuisine de la ruelle. Pour garder au chaud contre nous trois cette parole ouverte, et sincère. Ce dépouillement d'artifice au milieu de juillet. L'obscurité qu'on peut se dire sans convoquer les malaises. On a raté les mojitos, réussi les conversations, et acheté des boucles d'oreilles. On a trinqué aux morceaux de démons défaits cette année et à la certitude qu'on finira le travail. Clo nous a lu son recueil de nouvelles, si dense, si fort. Je pense aux mains entre lesquelles j'aimerais le mettre. On se laisse en se disant que ce n'est que pour un temps, bien sûr.  


Voiture à l'arrêt, pour la semaine, à Chalon-sur-Saône. Allez, zou, dans la rue. Chalon dans la rue. Ce sont nos pieds qui vont devoir avancer, et nos voix qui remplaceront l'autoradio. On a pris des voitures, des trains, des roues différentes pour arriver là. Ils arrivent les uns après les autres, Sandilla, F., No, Violette. Je redécouvre, ébahie, combien la vie est étrangement facile avec eux. On croise au passage des amis, des familles. On se laisse terrasser, parfois. Comme devant "La montagne" du collectif Bonheur Intérieur Brut. Sans voix, regarder des hommes et des femmes gravir, glisser, monter, tomber, se jeter, s'aider, se défier, se porter, se supporter, s'affronter sur cette montagne. Tant et si bien que les frissons, que l'eau au bord de la rive. On ne peut pas "se poser". Sans cesse, se relever, changer de regard, voir autrement.  On retrouve cette in-tranquillité en suivant les "10 000 pas sans amour" de La Baleine-Cargo presque au même endroit. Lysistrata d'Aristophane monté sur frigo, métissé de Victor Hugo, Georges Bataille, Louise Labé, ce n'est pas un pari facile mais ça fonctionne ! Ca vient nous parler dans une langue hétéroclite mais jamais banale, même quand les mots sont familiers. Ca vient interroger, dans le rire pas toujours franc du collier. Dans la musique. Par les corps, les visages, les voix de ces six acteurs incroyablement denses. Dans le rythme, impeccable ! Nous suivrons aussi le groupe ToNNe qui nous emmène chez Annie Ernaux dans "AE - Les Années" et réussit à "susciter le débat, à toucher, à troubler". Trois grands moments d'unanimité dans l'émotion pour notre petit groupe (autant dire que c'est pas rien). Petit à petit des départs. On reste trois, le dimanche soir, sous la pluie à l'autre bout de la ville, devant le lieu d'un spectacle annulé. C'est trop triste de clore le cheminement emmêlé de cette semaine là-bas. On va s'attabler devant une bière et une gaufre (belges, les deux) pour que le dimanche ait un goût de fête, encore. Le goût de tout ce qu'on a vu, débattu, de tout ce qui a résonné, des concerts tard dans la cour d'école, des expansions du nom improbables utilisées pour décrire les musiques et des émerveillements successifs. On rentre, apaisés. Le lendemain, la ville fera comme si de rien n'était. Quelques affiches au coin des yeux trahiront qu'elle a bien peu dormi. On trouvera quelques signes de la passion malgré la toilette toute fraîche. Il est temps de s'en retourner.


La route vers Sète nous porte, dans le matin. Mon amie Celar est là, à côté. (d'elle je tiens cette habitude de préciser "mon amie" avant le prénom des gens qui me sont cherscherschers.) On se raconte le début de l'été. Les libérations et les envies. Les entraves. Les possibles. Avant d'arriver on chante en chœur, Michèle Bernard (Celar, Michèle Bernard et moi, c'est une des histoires que je raconte trop souvent, parce que c'est une des histoires que je préfère). Ce festival, la poésie, on en a tant parlé. Et dans les rayons verticaux du midi, nous arrivons. Nous rencontrons la femme chez qui nous allons loger quelques jours et sa fille. Elles ont une énergie folle. Cette rencontre est simple, les choses se font naturellement. Dans son appartement, les meubles chinés, quelques-unes de ses créations, les couleurs, la vue depuis le balcon, tout me parle. On passera de beaux moments à parler de bouquins, d'artisanat, et à écouter Celar improviser des chansons sur la guitare rose de cette petite fille, au milieu de la cuisine et du café.




Quand pour la première fois, nous arrivons au jardin du château d'eau, je me revois très nettement, lors de ma première venue. J'étais près du portillon, Paco Ibanez venait de participer à une causerie sous les arbres. Je l'ai appelée sans penser qu'elle était ailleurs sur la carte. Il fallait qu'elle sache combien elle était là, aussi. Que je lui dise combien j'étais sûre qu'on viendrait ensemble, un jour. Combien j'étais réjouie. Réjouie et tremblante de ce que je m'apprêtais à faire. J'allais faire un petit pas. Dire à quelqu'un que je ne connaissais pas que j'écrivais, et que je souhaitais être publiée. Elle était au bout du fil à m'envoyer ses clochettes. Et les clochettes de Celar, quand elles vous tintent dans le dos, vous ne pouvez qu'avoir confiance.


Avec Celar, à Sète, on a entendu de la poésie, bien sûr. On a parlé. Bu du chai latte. On est resté, longtemps la nuit sur le balcon. On a parlé des lieux où il ferait bon vivre et bon se retrouver. On a projeté de possibles futurs dans les ruelles et sur les places. Elle m'a signalé quand les traductions étaient mauvaises. Je lui ai demandé si on pouvait aller écouter Maram Al Masri, sans savoir qu'elle était déjà partie. On s'est rappelées l'une l'autre à l'écriture. On a mangé des frites le long du canal, vers minuit. On s'est dit que ce serait bien de venir la prochaine fois avec son compagnon, avec notre amie Clo, avec les chères chairs.


On a écouté Paco el Lobo, au théâtre de la mer, pendant qu'un bateau passait, derrière. On a attendu sous la drache que le concert reprenne. Et puis, finalement, cela se fit à l'inattendu, dans la chapelle du quartier haut, et c'était beau, c'était beau. Tous trempés sur les dalles écornées, Dans la peinture noire écaillée et le blanc bien net. Il y avait sa voix, dans les enceintes de fortune, la guitare de Cristobal Corbel et la danse de l'incroyable Melinda Sala, fulgurante malgré la pierre qui écrasait son dos.

Le dernier jour, écrire enfin un peu, toutes les deux. 
On s'est quittées dans une rue en pente. Sentir encore les traces du duende pour partir plus loin dans l'été.