jeudi 28 août 2014

Intermède estival : L'Hospitalière

Vacances coupées en deux.
Où l'on réapprend que rien ne se passe jamais comme prévu.
Qu'on ne maîtrise pas tous les langages.
Qu'une bulle dans le cathéter peut te repeindre en bleu. Et qu'une lame n'est pas forcément un couteau.

Mais la présence de T&A, toujours toujours. Et de ma tante Mistigri. Les coups de fil, et un Dan Brown avalé dans une nuit claire.

Mais la journée de visites la plus folle, avec les acolytes.
Oui parce que bien sur, le seul jour de l'année pour se voir, avant qu'ils ne repartent tous dans leurs contrées très lointaines (encore des amis à l'autre bout du monde), c'était le lendemain de mon supposé retour de l'hôpital.
Qui s'est transformée en rencontre à l'hôpital (goût pour l'original et l'inoubliable, dîtes-vous...)Voilà comment on s'est retrouvés entre les références à Pascal et à Kaamelott, un immense cerf-volant déployé sur le lit. Voilà comment je suis allée faire des pas dans le couloir avec la Coloquinte, riant du ridicule de la situation, alors que le moindre rictus me fendait le corps.

Se tenir littéralement les côtes en riant. Trouver ça étrangement beau. Comme cette fête des vingt ans où j'ai vomi avant de boire une goutte d'alcool, juste parce que N. avait amené un cadeau private-joke-référence-bonvoyage our le moins original. Et la belle Coloquinte, la si belle alerte rousse et sa générosité, son sac de Mary Poppins, son sourire malicieux, ses conseils de films gores et son regard aiguisé... Avoir mal au ventre, littéralement, de penser qu'on ne se reverra pas avant quelque chose comme un an.



Rentrer à la maison. Enfin, la leur.
Et voir arriver les amis de Belgique, Passereau et son compagnon, de retour de rando. Manger un peu plus. Rire autant, attablés dans le salon de mes parents. Cette chance de toujours pouvoir mêler famille et amis. Qu'ils connaissent ceux qui peuplent mes villes. Sourire de les imaginer, un de ces jours, sans moi mais avec Passereau, dans les rues de Gand.

Et puis le lendemain, alors que la maison se déserte, Bouh arrive. On reste là toutes les deux, à se soigner l'une l'autre, à ramasser des cornichons, à discuter beaucoup, à regarder un film sur Villa El Salvador (envies de partir), à déjeuner sur la terrasse, à prendre le temps du temps. Clo. passe nous voir et voilà que soudain, les torrents jaillissent, au croisement de nos trois vies de femmes. Que tout ça se raconte, comme à la bougie, sans qu'on comprenne bien comment la nuit arrive. Je repense au fait que confiance se dise confidence en anglais. Comme cela a du sens.

Vacances coupées en deux.
Encore une autre vacance au milieu.
Où l'on réapprend que rien ne se passe jamais comme prévu.
Où l'on re-connaît qu'il y a tant de gens autour, et que l'on a tellement de chance...

F-estival #2 - A la rue

Quitté à regret les poèmes de Sète qui séchaient au soleil. Le lendemain, il y avait un rendez-vous pas très drôle. Pas grave non plus, mais nécessaire. Et un deuxième pour le surlendemain. J'ai fait les allers-retours sous les rayons lourds de juillet, seule, comme une grande.


Quand je suis revenue, une ville avait changé. Il y avait des affiches partout, de gros points-repère rose, des écoles renommées et des specta-touristes en goguette. Aux terrasses des cafés, des artistes et des techniciens discutant du statut de l’intermittence. C'était comme si tout était déguisé ou révélé.

J'avais déjà vu la ville en costume de festival. La toute première fois que j'étais venu, pour les toutes premières vacances entre amis, c'était déjà dans le théâtre, en juillet. Bien sur que c'est étrange, de redécouvrir les dix-sept ans sous la ville de l'âge adulte. De fredonner "Romocheva", sur le quai où l'on ne peut plus circuler.

Il reste quelques trucs à faire avant de retrouver la filleule de Kh. Mais, en passant vers le centre nerveux du festival, c'est pile sur elle que je tombe, et sur ses parents. Les petites coïncidences qui donnent un sens, même factice, aux lieux que l'on parcourt.

J'attends ensuite V. et M., deux oiseaux de passage, par hasard, pour autre chose. Ma filleule, Violette, nous rejoint. Et finalement, la première soirée de festival se passera hors festival, à manger indien-végétarien et à errer dans les rues envahies de spectacles off-du-off-du-off. C'est une soirée à la fois étrange et facile, au milieu des traces d'un quotidien en robe d'apparat et en détritus de foule.

Le lendemain, déjà, il faut se dire au-voir avec V. et M. Violette part à l'assaut de la ville, et moi j'attends, en essayant d'attraper un peu de calme. Il y a toujours ce sentiment très ambigu, à la veille des semaines serrées d'amis, étouffées de gens et de choses à voir, qui pendule entre la joie pure, l'excitation, et la crainte de ne plus respirer, de me sentir pressée, op-pressée.


Je m'élance tout de même dans le ville, seule d'abord, l'appareil photo à la main. Pour réapprendre à voir, pour apprivoiser, frôler des yeux, admirer un peu les endroits usés de semelles. L'appareil est mal réglé, il faudra s'en occuper. Mais tant pis, pour cette fois, cela suffira. Regarder le monde un peu plus flou.

Ce jour-là, peu de spectacles. Beaucoup de grèves et de conversations. C'est difficile, et pourtant, il y a quelque chose de très beau dans ce programme édenté, dans le calme saturé de monde qui se contente de marcher et de discuter, dans les itinéraires invraisemblables et les piétinements des débats. Les compagnies viennent tenir leur rendez-vous, expliquer la grève, discuter. Un chœur de femme, en civil, chante "Bella Ciao" sous un soleil de plomb au lieu du spectacle prévu. Les gens autour chantonnent, hument, sifflotent. Les applaudissements sont nourris, un peu fébriles et émus. Cela rend bien l'ambiance de cette ville en festival et en attente, des gens qui marchent vers des spectacles qui n'auront pas lieu et qui n'en prennent pas ombrage. Je suis soulagée de ce soutien palpable, tangible.

Au bout du fil, il y a la famille qui doit arriver, qui viendra en deux groupes malgré les cailloux dans la machine. Le frère et Lia d'abord, que je guide dans les rues mal connues. Puis T&A, qui arrivent dans la petite cour du musée. Les groupes se font et se défont. On voit le meilleur, et le moins meilleur. Des ovnis qui réussissent à nous emmener. Plantés debout, avec les pieds écrasés, à rire. La fatigue tombe peu à peu. Les rues de nuit, étoilées de monde. On rentre camper à l'intérieur. Il y a la petite lumière et un matelas bleu à côté de celui du frère et de Lia. Des mots de bêtise, des douceurs, comme devant la table du petit déjeuner, que l'on déserte pour aller voir les Souffleurs, immobiles, veiller sur la ville. En terrasse, avec un café, au soleil, et les Souffleurs qui veillent.

Vadrouiller au gré des écoles peinturlurées, au soleil, dans cette lenteur joyeuse des groupes qui doivent prendre des décisions. Et maintenant, quel spectacle ?


Deux histoires de migrants. Une déambulation et un cercle.  Jusqu'au soir, vers la cour où, en rond, se jouent les lignes frontalières qui déchirent les mondes. Les imperméabilités à sens unique. Les mobilités pointillères. En traversant la rivière, cela fait débat. Sont venus nous rejoindre Fr. et Bou, leur sourire et leur sac en bandoulière. Se demander ce qu'est l'intérêt d'un spectacle, d'une oeuvre d'art, ce qu'on en attend, tout ça devant un hot dog, sur les tables poisseuses qui font tout le charme des fêtes en plein air. John-et-Pluto-er, encore, ne pas toujours être raccord. Et puis laisser les familiers reprendre la route, un peu à contre-coeur.

Se voir à demeure, et se sentir ailleurs.

On reste tous les trois comme des points de suspension.



Il y a des cirques prometteurs et décevants, s'avoue-t-on en pouffant notre ennui. Se barrer en riant, dans les artères d'ombre, éclairés à demi. Illuminés aussi. On attendra les tambours sous la pluie. Le feu des percussions, le rythme des artifices, que l'on suit, aveuglément. Les enfers déchaînées. Les pudeurs décharnées. Quand ça frappe trop fort contre la peau, que tout devient heureusement rugueux.

La nuit, je sens comme aux soirs des Noël de l'enfance. Cette même envie d'engloutir la nuit et le sommeil, les rêves, pêle-mêle, parce que c'était bon, cette journée, et que le lendemain promet de l'être tout autant.

Compter presque les pas, sur le chemin de la gare. Ce chemin du matin, celui des petits départs, en douce, dans la ville qui baille aux abeilles. Sur le quai, soudain, près du machin d'attente en plexiglas, Clo. arrive. On ne s'est pas vues depuis plus de trois ans. Et la voilà, avec son sac de couchage rose vif et ses cheveux noirs-mais-rose-ce-serait-chouette. Sur ce chemin-de-la-gare-du-matin, qui dans le sens inverse fait un peu mal aux yeux, en bien, les mots s'ouvrent avec une certaine évidence. Et-vit-danse. Dense?


Puis, dans l'appartement où nous déjeunons, avec Bouh, Fr. et Clo, voilà la belle Lu, qui arrive avec les croissants, avec sa robe légère et son regard rieur. On est un peu étonn-é-mu, d'être ici, parce que cette fameuse première fois de festival entre amis, c'était avec Bouh, Fr. et Lu. Et si on m'avait dit qu'on se retrouverait dans ce lieu là, là, beaucoup plus tard... Il y avait une place de libre, inoccupée, à la table et dans nos esprits, pour Celar, au travail, pour un autre festival (histoire à venir), qui manquait, nous manquait.

On a vu des choses bouleversantes, renversantes, poétiques, amusantes, poignantes, questionnantes, évidentes, ardentes, hystérisantes, élégantes, fines, décevantes ou encore terrassantes. A deux reprises, nous sommes tous sonnés, d'un coup de poing, par la grâce, qui nous laisse ébahis, et d'accord tout à fait, émerveillés et touchés. Et ce n'est pas rien.


A côté des spectacles, on a dit des mojitos et bu des paroles, beaucoup. Des bêtises. Des non-bêtises. . Des nourritures de l'esprit, des nourritures terrestres, c'était comme céleste et à la fois terrien. C'était évident et facile, la vie tous les cinq. Il suffit, quand il pleut, de se replier à Jumiège. Ces heures-là ont le goût des gaufres liégeoises qui collent aux doigts dans la nuit et de la menthe qui se fait rare. 

Tellement simple que quand on ramène No, on ferme les écoutilles forts pour ne pas pleurer, comme quand on était ados et qu'on se quittait dans les gares sans bien savoir quand on allait se retrouver. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vue ou presque. Je me dis que bientôt, c'est moi qui prendrai le train pour aller la voir. Avec ceux qui restent, on refuse de se quitter le dimanche. 

C'est tout le luxe qu'il nous faut, décider au dernier moment que finalement, non, on se quittera lundi, après avoir bu, et joué, alors qu'il fait gris, et que la ville, toute nettoyée, avait repris son tailleur de pluie comme si rien ne s'était passé.

Je ne sais pas comment fait la rue. Moi j'en reste toute retournée.


lundi 4 août 2014

F-estival - #1 Au sud de juillet


Le problème, avec les fins d'années qui n'en sont pas, c'est qu'il faut des chocs pour comprendre que c'est terminé. Qu'on peut enfin ouvrir le temps en grand. On n'en a jamais autant conscience que lorsque cette liberté des jours et de l'esprit semble compromise. Par un compte en banque affamé, par le manque de projets, par la fatigue ou par un problème de santé.

Au moment où j'ai réalisé que je ne pourrais peut-être rien faire de ce que je souhaitais, ou presque, soyons honnête, j'aurais pleuré comme une enfant.


A quoi bon avoir enfin vaincu la terreur des longs étés troués de vide, cette malédiction des années d'études aux boulots insipides et à la solitude amère, si c'est pour se retrouver clouée là, au lit de l’hôpital ou à la ville désertée ? Comment recommencer en septembre sans l'été qui traîne sur la peau, sans rien pour croire au soleil ?

Au moment où j'ai réalisé que j'allais pouvoir, quand même, vadrouiller un peu, retrouver, écrire, écouter, rire, débattre, voir, discuter, rencontrer, flâner, j'aurais pleuré, encore, comme une enfant.

Ce qu'il y a de bien, avec ces chocs qui ouvrent les vacances, c'est qu'ils nous autorisent à dériver, enfin, loin de là. Qu'ils nous forcent à quitter la terre ferme, à mettre un terme, et à se faire insulaire.


J'ai donc pris la voiture, un peu plus tard que prévu. J'ai suivi l'autoroute vers la méditerranée, avec du rock, des lunettes de soleil, et des galettes de riz au chocolat fondu. Ma voiture est allée se compacter parmi les milliers d'autres. On a roulé en accordéon. Qu'importe d'être en retard ? C'est le week-end et on roule en accordéon. On roule vers Archi et Verte, deux très-chers de l'Erasmus (et de tant d'autres choses depuis).

J'ai l'impression que j'arrive toujours dans cette ville à la même heure. Que je vois toujours le soleil horizontal dans les miroirs vers l’hôtel de région, et que je sens à chaque fois ce délicieux frisson des soirs orangers, en bord de mer. Même si je ne vois pas la mer.

Le parking était à sa place, Archi et deux de ses amies sont arrivés pour m'ouvrir en grand la porte des vacances. Il ne restait plus qu'à aller manger, ensemble, un peu fatigués, sur une place repeinte de monde. Verte est arrivée un peu après, avec ses cheveux plus courts et son sourire vif. Sur la nappe à carreaux, improviser un jeu, parler jusqu'à plus soif, et dire beaucoup de bêtises.

Sur la mezzanine, je me suis installée, temporairement. J'ai posé des livres, des vêtements, des carnets.

Nous sommes partis, plus léger, vers un village fantôme. A l'autre bout de la route, des gorges. Tant de choses y serpentent, du chemin, de l'eau, des rochers, que je ne peux qu'aimer. Je vais lentement entre les pierres, les chevilles sont fragiles, mais Verte et R. m'aident, de toute la bienveillance possible. Savent-ils à quel point il est rare de ne pas trouver dans l'aide une pointe d'agacement ? Savent-ils à quel point cela m'émeut, cette attention sincère et constante ? Au fond de l'après-midi, une cascade et une eau toute en retenue nous attendent. Je supporte soudain mieux d'avoir commencé la journée par cet acte désagréable en tous points : l'achat d'un maillot de bain.
Qu'est-ce qui fait qu'on sait se jeter dans l'eau froide comme on ne sait le faire nulle part ailleurs ?

On se régale, dans l'eau ou au resto, dans la ville éclairée que nous traversons le lendemain, de thé à la menthe fraîche, de coriandre achetée sur le trottoir qui embaume la cuisine, de pain marocain.


Parfois on n'est pas d'accord, du tout, sur le monde, la vie, la SNCF, les intermittents ou le programme tv. Ce n'est pas si grave, il y a d'autres accords.

Et si tout le monde râle, alors que nous sommes trempés jusqu'aux os, que la pluie nous bat aux tempes, si tout le monde râle et moi un peu, parce que Sète attendra, et les poèmes aussi, je jubile de cette ville et de ces traditions d'été. D'arriver encore à se retrouver, même sans effusions.

Le soir Verte et R. sont là. C'est si évident, que j'oublie d'être triste, à l'idée que bientôt, ils seront loin à nouveau. Loin au point de ne pas pouvoir appeler au dernier moment pour dire « Ma sœur vient dans ta ville, le week-end prochain, je peux profiter de la voiture. » Loin, au point qu'il faudra calculer à quelle heure s'appeler. Loin au point qu'on peut encore dire « à l'autre bout du monde », cette expression d'un temps révolu ou le monde avait deux bouts, un sens, et des distances infranchissables. C'est si évident que je fais un thé à la menthe, et qu'on joue ensemble, avant que la nuit ne nous reprenne.

Le lendemain, je repars, mi-digue, mi-raison. Trop d'au-revoir à a fois. Une ville de poèmes qui attend non loin de là.


Amerrir à Sète, le long du canal, face à la colline, sous le soleil, pour se rappeler l'été dernier. Pour frétiller dans le présent du poème. Osciller entre les rencontres éditoriales, et la pure émotion, la langueur des hamacs et la balade avec mon homonyme. Tout se mélange, sous les rayons et l'ombre ourlée de ciel. Le goût de la menthe, le vert vibrant des feuilles, leur frémissement tranquille et les mots qui se perdent. Je rencontre de belles éditions, de beaux projets, de belles personnes. Par exemple, je vous propose d'aller voir ce que font la revue Souffles, les éditions Tipaza (chez qui on m'a fait découvert un presqu'inédit de Guillevic...), la diffusion de l'Oiseau Indigo. Et plus généralement, d'aller faire un tour sur le site du festival, pour tomber comme par magie sur des choses folles, surprenantes, enthousiasmantes.

Sète, c'est aussi parler de ce que cela veut dire, écrire de la poésie, éditer de la poésie, en temps de crise, en temps de guerre, au Liban ou en Italie. C'est la rencontre d'auteurs d'ici, d'ailleurs, d’Israël, de Palestine, de Slovénie et d'Oman.

C'est une lutte de chaque instant contre la malédiction de Babel. Les poèmes se lisent dans toutes les langues de la méditerranée. Chacun vient, la bouche pétrie différemment. Et pourtant, toujours, nous nous entendons. Les oreilles ravies à leur environnement familier se retournent sur les chants plus ou moins inconnus. Tout descend beaucoup plus loin que l'intelligence. Les silences sont les mêmes, au creux des vers sonores. A une couleur près. Les silences sont les tympans des poèmes. Les passages dans lesquels tout vient rebondir et se faufiler.

Avant de quitter Sète, je m'autorise une gourmandise en allant écouter Salah Stetié accompagné par Yassin Vassilis-Cherif au Nay. Il n'y a rien à en dire. Ça suffit pour avancer sur l'autoroute de nuit.


Quelques jours avec Verte et Archi, à Montpellier, et la chaleur de la proximité pour tenir au plein de l'hiver.



Une seule journée, à Voix Vives, et des dizaines de raisons de battre, encore. De battre de partout. De croire qu'il fait beau.