samedi 26 mars 2011

Les journées à plusieurs journées

Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ? Ces journées à plusieurs journées ? Ces journées un peu invraisemblables parce que vous avez l'impression d'avoir vecu tellement de choses différentes voire contradictoire que tout ça n'a pas pu se passer en quelques heures, mais en fait si ?
C'est un truc qui m'arrive régulièrement. J'ai pas l'impression d'avoir une triple vie et pourtant y'a des jours où le patchwork me guète. Où on ne sait plus trop où sont les coutures qui relient tout ça. Où est le lien. Où pas grand chose à part le corps, sa continuité rattache ce qu'on est une heure et ce qu'on est l'instant d'après. Parfois j'ai l'impression que seule cette fatigue du corps, de la chair et des muscles qui ont enregistré tout ce que j'ai vécu, me rattache à moi-même.
Jeudi, je donnais des cours, c'est le jour un peu maudit pour les premières. Sans entrer dans les détails, c'est une après-midi longue et difficile pour eux comme pour moi. La différence, c'est que j'ai appris à être tenace, a trouver des ressources et de l'énergie, à ne pas abandonner. Pas eux. La différence, peut-être, c'est que j'ai conquis petit à petit des facultés de travail et de concentration et qu'eux ne voient pas tellement l'intérêt de l'effort. Je ne dis pas ça par passéisme ou par mépris, je me rappelle trop bien de la personne que j'étais à 17 ans. Je trouve juste que leur manque de tenacité est un peu triste. Qu'ils ne se rendent pas compte que c'est eux-même qu'ils pénalisent en ne considérant le français que comme une matière mineure au bac. En n'essayant même pas de maîtriser ce code commun indispensable. J'ai laissé passereaucoup de choses. Trop peut-être. Un partie de petit bac (ils en sont trop fiers), des retournement intempestifs, un vocabulaire inapproprié (mais genre vraiment inapproprié). Mais leur grossierté, ce jour là, était de trop. Je les ai vu hier, dans la joie et dans la bonne humeur. Leur émotivité m'épuise. Leur over-débordement aussi.
Et puis j'ai fait de la route, avec des muscles tendus et douloureux. J'ai profité des paysages incomparables (si si) du Bugey seule, dans la voiture, longtemps. Belley m'attendais, j'allais être en retard mais j'allais y être quand même. Je me demandais comment ressurgiraient ces sortes de fantômes d'un moment hors du temps. Quelles formes auraient ces silhouettes si bien dessinées dans le décor normand. (pour la peine, je réouvre temporairement le mini blog "Irons nous plus loin ?") Au bout de la route, dans "l'or du soir qui tombe" (désolée, j'ai relu plusieurs fois "Demain, dès l'aube..." pour les cours), il y a les arcades et la pierre, et la salle. J'entre avec le moins de bruit, d'éclat possible. J'ai manqué la moitié de la conférence. Elle est là, et ses yeux se ferment parfois, le front contre les mains. La fatigue, la concentration. Elle est requise par ces rencontres, par ces réunions. Elle se rend disponible, au service de l'oeuvre. Il y a une autre elle, avec qui nous avions longuement discuté. Et puis quelques lui aussi, moins proches. Des profs, tiens donc. Nous sommes peu nombreux dans le public, je crois être la seule de ma génération. Cela m'attriste. A la fin, il y aura des poèmes sortis des livres. Et puis des discussions plus "confidentielles", dans la douceur de l'entre-deux. Elle glissera quelques mots à mon sujet, à une connaissance, quelques mots qui me font dire que j'ai réussi à communiqué mon travail, ma passion, ma douleur aussi peut-être. Que ces pages blanches un peu rigides ont été reçue avec amour et bienveillance. Il y aura les bras, la fatigue avant de se reprendre, de continuer. Il y aura la correspondance.
Tout ça a duré bien longtemps, bien trop pour que je sois à l'heure au rendez-vous. Plus de forfait, pas d'appel. elle va attendre devant l'ordi. J'essaye de me dépêcher.
La route est revenue, avec une halte-hamburger (c'est tout ce qui était ouvert), puisque le creux qui n'avais jusque là pas eu la place de s'exprimer se faisait béant. Et la nuit, les pierres, les routes sans éclairages, la solitude presque bienheureuse malgré la fatigue découpe mes jambes. Une pause-pipi dans le nulle-part, dans une certaine peur enfantine. La radio tourne, puis plus, puis encore. Le choix de la route. J'hésite. Je prends la minuscule route qui gravit la petite montagne, qui se perd dans les bois, qui tombe dans des précipices. Je me plante, je fais quelques allers-retours pour rien. Je vais arriver tellement tard. I'm so mad.
Et puis, si près de l'arrivée, je m'apprête à croiser une autre voiture. Qui s'arrête. Je m'arrête un peu avant, j'ouvre la fenêtre. Une biche convulse sur le sol. Je ne sais pas quoi faire. Elle n'arrive pas à se relever, je ne sais pas comment l'aider. Je panique devant ses grands yeux. Devant sa peur, son angoisse, sa détrsse. Un homme descend, il l'a heurtée il ne roulait pas vite mais n'a pas pu l'éviter parce que j'étais en face. Un grand silence s'installe entre nous trois. Prise à la gorge. La blessure est trop grave. Il me dit, avancez, je vais abréger ses souffrances. Je suis rentrée, un peu paralysée, choquée. La peur dans ses yeux, et ses mouvements désespérés pour y arriver.
Parler, écrire, expliquer le coup de fil raté. Dormir. Demain, il y a des copies à corriger.

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